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puisque ce sera sans toi.
Il faudrait ça, recommencer
Repasser partout à l’envers
Pour détourner les traces,
trancher ta vie en morceaux
Tailler. Rayer
Le goût des fruits
Tes premiers mots
La lumière (extrait)#LittéraTube #VidéoEcriture #poésie #écrire
micro journal 316-2023.04.02
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mars | carnet (100 mots par jour et des vidéos)
Petit monde sans toi, mon nouvel exil. Je me suis installée dans l’étrange, corps harassé de chagrin. Je ne pleure plus ; qu’il est troublant de tant souffrir sans pleurer. Fantôme sans toi. Petit monde sans toi, petite je redeviens, entre sursauts et obsessions. Je nous garde dans mes nuits. Je te retiens clandestine dans l’impuissance des rêveurs, transgresserai vie et mort pour que tu dures. Transformerai tes lignes effacées en violence aimante. Immense monde de toi. Mon secret lent. Je ne pleure plus, je reste ta petite naïve. Je serai patiente, obstinée. Petit monde sans toi, je ne quitte pas. /// 31 mars 2023
Leurs phrases tremblent sur tes joues, parlent à tes poumons, tu suffoques et poursuis. Elles savent pour toi. Sourires sévères, leurs phrases sont mimiques et visages. Elles battent dans tes paupières comme des voix. Elles parlent à tes dents ; mordre que leurs mots se taisent. Tu les entends des yeux, il te suffit de répondre. Tu t’exposes, on te reconnaît de loin. Leurs phrases t’écrivent. Tes attentes jetées par poignées. On te devine à tes humeurs, tu les poses sur ton front. Éphémère comme livre, tu passes entre les mains, te refermes. Tu te rends. Distrait, tu t’abstrais de toi. /// 30 mars 2023
Je me dis que les mots s’inventent comme des formes d’eau. Plagiat du réel dans l’incertitude. Je me dis que les objets n’existent pas, que le hasard convoque les possibles. Décale le style. Me dis que les yeux picotent quand ils voient. Les images trompent, lumière étroite. Je me dis que les voix voltigent en nous. Que le soir condense la parole ; elle respire bas. L’injure est désordre d’adresse. Détourne le trouble. Je traîne dans la langue, l’écoute comme première fois, bizarre, absurde. Je froisse les lettres, qu’elles expriment la coupure. Sortir du doux soupçon, au risque de la farce. /// 29 mars 2023 >> en vidéo
On est frères dans ces moments-là, complices. Les taquiner, pris par l’euphorie des surenchères. D’autres fois angoissés à l’idée. Notre mère, notre père, la maladie dont on ne prononce pas le nom. Mourir de tant fumer. Il nous arrive de cacher les paquets, de feindre ne rien savoir, où qui, ce n’est pas moi. Il nous arrive de briser les cigarettes entre nos doigts, geste éclair, excessif comme pastiche de puissance. Leur manque est plus fort. Le regard, pourquoi tu as fait ça ? et nous de fondre : s’il te plaît maman, arrête de fumer, ne meurs jamais je t’en prie. /// 28 mars 2023
Nerveux comme Liban. La colère rapide des hommes, leurs mouvements brusques. Les insectes, énervement des nuits. Les klaxons dans les rues. Pays nerveux, terre à cran. La chaleur qui agace, corps de tensions. On est hâté sans raison, toujours cette impatience. La nervosité comme peur aussi, inédite, rentrée. Alerte de danger permanent. Sursaut à tout bruit, la mémoire est tyrannique. Secousse qui exile. La nervosité comme mauvaise conscience. Quelles fautes nous enferment ? Surveiller l’ombre, ce qui peut en surgir. La nervosité et son contraire. Cette facilité à être, laisser venir, advenir. S’arrêter pour un café malgré l’urgence. Rire en désordre. /// 27 mars 2023
je trouve aussi, oui tout à fait… le métro comme le reste se dégrade… la modernité pourtant et on paie plus cher… mais ça fonctionnait mieux avant, jamais de problèmes… oui moi avant… tous les jours, l’exception maintenant c’est quand il n’y a pas de problèmes… tout à fait, pour ça que moi je pars plus tôt… ils en parlent à la télé… oui j’ai vu le reportage… ils l’évoquent souvent, c’est parce que c’est un vrai problème… je descends à Tolbiac, je prends un bus. Elle la prévient avant. Bonne journée Madame. Merci. Parfait savoir-vivre, pas comme ce maintenant. /// 26 mars 2023
Comme peau qui gratte, chansons hantent bercent. La mélodie revient sans silence entre les doigts. Ça gémit, balbutie de rythmes altérés. Le passé comme ritournelle égrène ses fausses notes. Comment taire les paroles qui épaisses s’accrochent. On a grandi dans ces tempos, nos corps répètent comme caisses de résonance, sortes d’instruments poreux. Les chansons agressent, bruits au hasard d’un cerveau qui se souvient. L’air est incertain, mais nos corps répètent, aveugles au réel. Ça résiste, ça nous coince, retenu dans une boucle hagarde. Les sons arrêtés en gorge emplissent le monde de cacophonie reconnue. Même musique s’entête entre les dents. /// 25 mars 2023
Tu n’es pas vieille, elle dit. Que sait-elle du tremblement de mes os. Du souffle qui cède dans les pentes. Des genoux durs comme marches d’escalier. Vieillir ou s’user comme palimpsestes. Je suis terre épaissie de mes vies passées. Que sait-elle des signes qui isolent, de la résistance du sens. Quand l’ordinaire hésite, menacé. Remous d’images comme pénombres de parole, la tête agile trouve les mots et les perd. Soulagement aujourd’hui précaire. Tu n’es pas vieille. Que sait-elle des gestes devenus rigides. Des yeux encombrés de tant connaître. Devoir la consoler de ma vieillesse ; la compassion m’est revenue avec l’âge. /// 24 mars 2023 >> en vidéo
Le toucher seul pour accrocher la vie. Il nous désigne, nous contient. Sans ce lien, nous flotterions, fantômes enfermés. Signes inutiles de familiarité. On se manquerait. On serait pierres aux peaux friables. Il s’agirait de s’éprouver sans basculer, côte à côte et distants. Opaques. Éclats de chagrins et d’heureux instants. Touchés, on s’expose, matière contre matière pour prendre trame, comme silex et feu. Nos peaux comme brouillard ; entre dedans et dehors. On s’attend, singuliers et avec. Précaires entre blessure et grâce. Notre obstination au mystère. Les mots séparent et nous perdent. On se risque. Faire histoire commune, prière oubliée, tracée. /// 23 mars 2023
Les premiers gestes grondés, on ne s’y attend pas, comment savoir avant. Mal, ce que tu viens de faire. On sera, pour d’autres actions, félicité. Nos fois d’après pour vérifier comme d’apprendre que le feu brûle les doigts imprudents, mais la douleur est tangible, et le recul immédiat. Le plaisir est bon, le corps le sait aussi, le devine. Mais comment faire pour que la morale soit instinct. Devoir recommencer ce qui se produit par hasard. Observer les yeux, les voix avant les reproches, avant les gifles quelquefois. Interroger sans mot comprendre avant le sens, pour voir avant la langue. /// 22 mars 2023
Il faudrait ça, recommencer. Repasser partout à l’envers. Pour détourner les traces, trancher ta vie en morceaux. Tailler. Rayer. Le goût des fruits. Tes premiers mots. La lumière. Ta respiration. Les douleurs au corps. Le vent. Inverser l’élan. Défaire le mouvement des années, laine d’un pull soigneusement tricoté, aujourd’hui décousu. Troublant plaisir à tirer, voir se détacher les mailles. Qu’on ne ramasse rien de signifiant après toi, puisque ce sera sans toi. Après de longs efforts pour te déployer, rendre visibles tes volumes, tu retires l’une après l’autre les racines de ta peau. Oublie Toi, on ne s’en souviendra pas. /// 21 mars 2023 >> en vidéo
Tu t’allonges près d’elle. Tu gênes moins à sa droite. Ta mère maintenant allongée. Si souvent allongée. Tu effleures son épaule nue. Douce. Dire, sans brusquer sa peau abimée par les prises de sang. Elle frotte rageuse, comme pour effacer une salissure de sa chair agressée. Nettoyer son avant-bras constellé de taches violacées comme carte de pays ; elle est ton monde. Tu veux l’apprendre par cœur. Ne jamais oublier. Te rendre invisible, inexistante pour la fixer dans ton corps. Inverser les places, l’ordre de la vie. La porter au ventre comme tu fus portée au chaud en elle, protégée, vivante. /// 20 mars 2023
c’est ta voix que tu entends, trahie. tes mots en toc. les livres autour poursuivent. ils n’entendent pas grincer tes phrases qui les lisent. ta langue de mauvais fantôme. tu dis vite la suite, d’autres mots comme pour marcher sur ta voix affreuse. avancer, piétiner le toc, tes fausses rides. tu t’ordonnerais de te taire, suspendre ton fatras d’intention. les gens ne s’arrêtent pas, ne te délivrent pas. table de mots entre vous, comme de se passer les plats. vos yeux raides aplanissent la lumière. tu te baisses, campée dans ton ventre, te distrais de ta figure lourde comme objet. /// 19 mars 2023
Je regarde l’heure, sans voir l’instant indiqué. Chaque cadran observé pointe ses aiguilles vers les années à venir. Je regarde l’heure pour interroger mes possibles fins de vie. Le temps flottant, incertain qui sépare du vacillement. Remonter le pantalon, nouer les lacets : un jour ces gestes seront longuement pensés avant leur mouvement. Comme s’il s’agissait de toucher l’idée pour retrouver l’adresse. Je regarde comme des rêveries de plafond. Me tenir à distance de l’âge. Certaines horloges battent et parlent, comme si le temps avait ses bruits. Les instants s’écroulent dans mes tympans, fracassés. Ma vie aussi un jour le sera. /// 18 mars 2023
Il aurait fallu ne pas dire. Que ta tête soit apparence attendue. Forcer la bouche, elle sait sourire vite. Tu ne t’es pas tue. Tu as lissé tes rides pour disparaître, mais trop extérieure. Il aurait fallu s’abstraire comme miroir, se fermer comme mur. Tu as la vulnérabilité de la poussière. Tu tombes quand on t’oublie. Tu rouilles grinces quand tu parles, il aurait fallu retenir l’habitude, perdre voix. Tu as peur, tu bouges contre la peur. Tes yeux pendent aux fenêtres, qui pour te sauver quand tu dépasses de ta peau. Il aurait fallu immobiliser ton sang. Te deviner. /// 17 mars 2023
Elle sourit à ses photos, l’une après l’autre rabattue comme cartes divinatoires entre les doigts. Et sa vie par ce mouvement s’anime des pages de passé feuilletées. Elle ne lit plus, la télévision l’ennuie. On l’a déjà vu hier lui, dira-t-elle d’un acteur de série quotidienne. Pourquoi on nous montre toujours les mêmes ? Et elle qui revient en photos, visage plat comme écran, le corps changeant. Elle a ce réflexe devant ses traits : confronter les reflets à ses représentations intimes. Se comparer sans s’être vue, comment se voir sans regard en volume. Elle se connaît par images, comme par cœur. /// 16 mars 2023
On sera piétinés d’un sourire qui rend fou. La magie sera fausse comme leurre. On vivra semblant. On recevra de nouveaux coups. On ne saura plus comprendre. On descendra plus bas au nom des valeurs. On acquiescera avec noblesse, notre bataille les déroutera. On sera les pas de côté de l’incohérence. On s’accordera à leurs yeux complices. Aux flux ordinaires. On ne cherchera pas à avoir raison, se savoir raisonnable nous suffira. On perdra notre superbe. Notre feu surtout. Notre mélodie sera hâtive, comme échos égarés. On n’aura pas d’intention. On se retirera. Notre vie sera comme lapsus, poésie involontaire. /// 15 mars 2023 >> en vidéo
Solitude des mains croisées séparées. Mon visage tâtonne et renonce. Je suis abandonnée par mon corps, ses partitions solitaires. Le ventre est laborieux, se contente de joies éphémères. Le cœur et ses voix battent, solitaires. Les bruits recouvrent mes pensées, m’isolent. Je pars seule dans des nuits sans moi. J’écris la distance, les fantômes des journées. Un cahier pour le désordre des mots. J’efface ma parole, me vide comme chose. Quitter toute époque, contrarier le temps. Le saut des pieds plus loin que ma gravité. Marcher pour relier le sens aux muscles forcés. J’oublie ; la fatigue repose des phrases vaines. /// 14 mars 2023
Il a dit, on ne meurt pas avant 105 ans. Mon grand-père, à mon père. Honore tes gènes mon fils. Il a dit, chez nous, on vit longtemps, 105 ans, tu m’entends. Il le répétait comme dogme de famille. Mysticisme de vie. Pères et oncles accordés, devoir imiter les ancêtres. Honorer leurs gènes comme fatalité heureuse. Dignité. Et nous, héritiers de ce paradoxe, notre dette à la terre. Recueillement sacré qui interdit la maladie. Cette menace sans cesse, mourir avant 105, comme trahison des origines. Il était paysan, pauvre. Il était sourd, silencieux. Il a dit, tu m’entends mon fils ? /// 13 mars 2023 >> en vidéo
Le sourire de maman, il y a. Sa peau de près. Les bras de papa. Je décolle, emportée. De peur, jubiler. Il y a le rire qui me vient. Sur la langue, la surprise des premiers citrons. Le froid du métal. Les pleurs, ces ordres adressés à l’inquiétude. M’entendre crier. Il y a les soins en douceur, plaisir de l’eau. L’odeur du savon. Le bruit des objets quand je les jette. L’excitation à jeter. La force de mes doigts qui agrippent. Les grimaces des visages pour m’amuser. Leurs mains dans mes cheveux. Il y eut ces jours de bonheur facile. /// 12 mars 2023
En marge du matin, soleil blanc comme lune. Mes yeux, encre vieillie. J’exécute les mots, j’ai perdu toutes larmes. On me dit : c’est mieux comme ça, non ? Mes gestes normaux ballottés dans un monde ordinaire. Je travaille devant des murs lumineux, oubli ou confusion de désirs. Ma voix comme impatience d’époque. L’exil aurait changé mon nom prononcé exotique. Matin. Le métal des nuits se dépose. Rêves comme traînées laiteuses. Secouer l’oreille, que tombent les plaintes par miettes. Je ne sais plus marcher, pieds de béton. Corps immobile ressasse ses pages mornes de paresse. Je n’ai pas tout quitté, pour ça. /// 11 mars 2023
Quand la dernière fois ? Quand as-tu été surpris ? Le nouveau d’une première fois. Le vent comme si tu découvrais ta peau nue. La maladresse des yeux qui regardent, captifs. Ton corps ralenti, le mouvement que la lenteur précise. Devoir deviner sans défi. La gêne. L’étrangeté d’une voix qu’on ne reconnaît pas. Quand ? Le mot qui échappe, si présent qu’il ne se laisse plus attraper. Tu es trop nerveux, impressionné, les mots aussi comme première fois. Rencontrer la langue. La rue et ses foules, humains nouveaux. S’étonner des épaules. Les cuisses d’à côté, trop près parfois. Voir les mains comme apparition. ///10 mars 2023
Foule. Tout corps m’est inamical. Je suis petite, envahie. Debout, entre eux, je me crispe pour respirer. Leurs cuisses débordent. Ventres. Bras qui parfois planent au-dessus de ma tête. Je suis leur noyée. Prostrée, muette. Peur sans raison. Je porte visage, formes. L’air pris sous le poids des présences. J’étouffe, frôlée. Odeurs des peaux, jambes infranchissables comme murs. Reprendre : je ne serai pas écrasée, piétinée. Des humains alentour. Leurs vies, une par corps. Debout dans la foule, comme piège d’os. Enfermée, carrelages de lumières artificielles, sons mordus. Le monde ronge, confond, isole. Je suis petite, invisible. Debout comme par terre. ///9 mars 2023
Si j’étais née garçon, j’aurais été un frère de plus, sans sœur. J’aurais porté les habits des frères aînés. Je n’aurais jamais été traitée de garçon manqué ; garçon. On aurait fréquenté la même école, n’aurait pas été séparés chaque matin. Je n’aurais pas eu à ranger quand les frères jouent. On aurait eu davantage d’indulgence quand je me salissais. Je n’aurais pas eu peur sans raison. Peut-être d’autres rapports aux larmes. Aurais-je pleuré devant les accouchements, les premiers cris. Je n’aurais pas quitté terre et langue pour fuir leurs vies de femmes. On ne m’aurait pas comparé à ma mère. ///8 mars 2023
J’écris avec l’oubli. Par coups d’œil, à tâtons. Contre la mémoire, ses voix décousues. Comme l’enfant retient les bruits qui s’éloignent. J’écris comme écolière qui répète. Apprendre par cœur les bribes perdues, temps clos. Attraper pêle-mêle de modestes traces, cartes retrouvées d’anciens territoires. J’écris contre la mémoire, contre l’oubli. Combien de villes, combien d’humains. Vertige de conversations dissipées. J’écris par hasard, je ne veux pas me rappeler ni retourner aux premières fois. Je me jette dans la langue, l’aléatoire qui étonne. J’ai si peur d’oublier les visages, l’éternité des liens. Je me souviens du regard de ma grand-mère qui m’oublia. ///7 mars 2023
Elle a ce réflexe. Voir les erreurs ; dans sa tête, les rectifier. Reformuler. Comme s’il suffisait de dire pour corriger. Racler le passé avec des mots, réparer la faute. La même, sous différentes formes. La langue est généreuse qui sauve peut-être. Elle a cette conviction, opiniâtre. Dire le monde, le dialoguer comme pousser les jours avec le corps, la tendresse du corps. Dans échanger, on voit « changer ». Elle a cette prière. Le commencement est déjà métamorphose. En verbe. Elle ne recouvre pas la réalité de phrases, la réalité est écriture ; elle en corrige les textes, comme maîtresse et devoirs bâclés. ///6 mars 2023
On pense avec la bouche, avec les muscles et les joues. On a appris à parler avec les refrains, poèmes ou chants. La langue passe, repasse, nous entaille de signes. Au rythme de l’instant. Nos pensées touffues, on marmotte l’idée. On a appris par boucles, on a récité. Répéter pour retenir, ça se raccroche. Ça obsède. On s’écoute, sans soupçonner le sortilège du vocabulaire. Pensées parasites, on respire dans leurs pouls. On réfléchira après. On galvaude, invective parfois. Se reprendre. On s’occupe, images et bruits. De quoi se perdre. Penser en diagonale, laisser échapper des mots involontaires. On s’y remet. ///5 mars 2023
On se parlait peu, j’attendais ses mots, lui ne me voyait pas. Ou confondue au flou du monde. Quelques images de mon grand-père. Ses oreilles, leur singularité. Immenses, parfaitement dessinées. Si inutiles : il n’entendait pas. Je vérifie les miennes. Sous la paume, elles soupirent comme grottes intérieures. Souterrains à explorer dans des replis de peau. Comme des coquillages qu’on ne perdrait plus, on y écoute le chant de nos profondeurs. Je les ménage, je couvre mes oreilles quand je dors. Les protéger du vent ou de quelques esprits malveillants ? J’ordonne mon sommeil autour de ce rite, leur éviter d’être traversées. ///4 mars 2023
On n’écrit pas, on compte les signes. Combien de mots pour atteindre nos objectifs, hasardeux. Le texte n’est pas écrit mais la question le précède, vont-ils aimer ? Sans savoir qui ils. Ce qui n’est pas encore créé, comment sera-t-il reçu ? Quel temps ça durera, accroché à leur oubli. On n’écrit plus, on comptabilise les pages, on suppute, cœur braqué sur des regards sans face identifiée ; on hallucine leurs yeux, à venir toujours. Leurs mots posés sur les nôtres. On n’écrit pas, on hurle ses doutes. On supplie dans des postures de déni. Ce qu’on n’a pas relu, déjà exposé, éloigné. ///3 mars 2023
Dans un monde sans toi, comment demeurer qui je suis, quand j’ai toujours été, dans ce monde avec toi. Difficile de continuer. Faire autrement, on me dit. Comme de naître d’un autre ventre, vieillie déjà dans des langues connues. Le vent sans toi. Le printemps à venir. Plantes et cuisine. Tu m’as transmis l’appétit du réel, pas besoin de souvenirs. Ton mouvement me traverse. Je ne te survis pas, je vis comme autre. Tu m’appelais « ma fille rouge », je suis une couleur depuis. Je suis ton sourire quand tu le dis : ma fille rouge. En français, tes r qui roulent. ///2 mars 2023 >> en vidéo
Certains méditent pour se recentrer. Devant le miroir, elle se regarde, se parle. Je te laisse trouver ce que tu peux faire avec ce visage aujourd’hui. Elle se répond. Voyons, voyons. Réfléchir à deux sans se duper, vérité singulière que l’on prendrait pour folie. C’est mal la connaître. Joueuse oui. Gamine malgré l’âge. Tu es belle, vraiment. Elle se sourit. Elle a souvent ces attentions, le compliment facile comme avec ses amies dans la vie. Elle devant le miroir et elle dans le miroir, comme deux amies à vie. Leurs échanges comme entre livre et cahier. Entre bouche yeux oreille. ///1er mars 2023
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si je suis, n’est pas.
tu y es presque
ça s’arrête comme piège
toujours ce lieu où s’arrête
alors que presque
qui ce tu
la manie de te parler au tu (extrait)#LittéraTube #VidéoEcriture #poésie #écrire
micro journal 315-2023.03.26
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on sera toutes comme une, femmes.
on a la liberté des chansons populaires
affront de dents, notre revanche est gaie
nos refrains dansent dans nos mains
rivales des temps aquatiques
poitrines vastes comme paysages
nos lèvres rient, câlines
chalouper
oublier, poings ouverts au hasard (extrait)#LittéraTube #VidéoEcriture #poésie #écrire
micro journal 314-2023.03.24
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notre vie comme lapsus.
On vivra de ça, les petites satisfactions. On se contentera de peu. On en sera loués. On se conformera, on guettera les signes, comme chien regardant son maître pour une sortie. Se retenir en attendant, se contenir, serrer son corps sur ses envies. On sera souples. On sera fiers de plier sans se casser (extrait)
Musique : Fantasia con brio – Omar Yagoubi
#LittéraTube #VidéoEcriture #poésie #écrire
micro journal 313-2023.03.18
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105 ans, tu m’entends ?
Il a dit, on ne meurt pas avant 105 ans
Mon grand-père, à mon père
Honore tes gènes mon fils
Il a dit, chez nous, on vit longtemps
105 ans, tu m’entends (extrait)#LittéraTube #VidéoEcriture #poésie #écrire
micro journal 312-2023.03.12
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la folie qui sauve.
la folie malade, la folie passagère, la folie qu’on envie créatrice marginale, folie destructrice, la folie qui exclut, la folie ordinaire (extrait)
#LittéraTube #VidéoEcriture #poésie #écrire
micro journal 311-2023.03.11
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ma fille rouge.
dans un monde sans toi,
comment demeurer qui je suis,
quand j’ai toujours été,
dans ce monde avec toi (extrait)#LittéraTube #VidéoEcriture #poésie #écrire
micro journal 310-2023.03.07
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tu te trompes de geste.
il t’a poussé comme chose,
on ne dit rien aux choses
on s’en sépare, on oublie
tu t’es arrêté, désenchanté
sourire faux de la dignité
tu te trompes de geste (extrait)#LittéraTube #VidéoEcriture #poésie #écrire
micro journal 309-2023.03.05
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chanter comme dire.
toute pensée de toi vers portée par un chant
airs balbutiés par fragments
la fin de nos vies serait comme ses débuts,
voix sans corps visibles.… (extrait)#LittéraTube #VidéoEcriture #poésie #écrire
micro journal 308-2023.03.01
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chanter comme rire.
entre nous, la musique
chanter comme rire autrement ensemble
et rire de chanter
Fayrouz, Sabah, Warda… (extrait)#LittéraTube #VidéoEcriture #poésie #écrire
micro journal 307-2023.03.01
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éprouve la finesse de l’amer.
comme en cuisine, dose tes épices
trop de ferveur écrase le goût
la juste mesure, sans calcul (extrait)#LittéraTube #VidéoEcriture #poésie #écrire
micro journal 306-2023.02.28
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février | carnet (100 mots par jour et des vidéos)
Mais vous ne vous sentirez jamais française, n’est-ce pas, pas tout à fait quoi, demande la Française qui ne se pose pas la question. Demande ou sait pour moi. Comme petite fille, je ne réponds pas, me justifie : j’ai davantage vécu en France qu’au Liban. « Pas tout à fait ». Quelques mots pour effriter toute certitude. Comment se sentir tout à fait qui que ce soit ? Elle parle, converse dans l’indécence inconsciente de qui ne connaît pas l’exil. Savoir badin posé sur le réel. J’entends réagir mon corps, manifester l’inassimilable « français » de toujours, ce froid par exemple malgré si beau soleil. ///28 février 2023
Entre nous, la musique. Chanter comme rire autrement ensemble. Et rire de chanter. Fayrouz, Sabah, Warda… élever nos cantiques à deux voix. Fredonner d’anciens clips publicitaires, marques souvent oubliées. Tes yeux joyeux maman à m’écouter reprendre une pub d’avant-guerre. Tu me corriges, doutes ou m’accompagnes ::
///27 février 2023 >> en vidéo
Il s’oublie ; les mouvements se font sans lui qui regarde, traversé. Ses mouvements pourtant. Ça se fait, ça échappe. Mains machinales ; bras, jambes, le corps comme mécanique activée. Ça enchaîne des gestes incomplets, stratégie d’absence. Ce qu’on lui a appris à répéter, les ripostes qui protègent. La vie comme scénario de l’ordinaire. Il est tenu de côté, assiste aux apparences du réel. Forme mobile déployée. Quand sa paresse est opaque, son cœur réservé, ses pieds se hâtent, comme véhicule sans volant. Il se poursuit, articulé par ses malentendus. Parfois il revient, zigzague entre deux. Il joue, grâce de l’instant retrouvé. ///26 février 2023
Moi plus grand… Plus tard… Petit déjà on dissocie. On se coupe : la bouche énonce et le corps est projeté haut, loin. Moi plus grand je serai. Moi je, ça créé du deux, c’est déjà la séparation. Toujours en devenir, en cavale. Comme de regarder le reflet d’un visage vidé de son esprit. Moi et je, instruments inutiles. Instinct perdu, matière agie comme abstraction. Défini, arrangé, je me limite. Me perd. Moi je, toi et vous. Eux. Comme autant de héros aux récits fermés. Visiteurs de nos histoires. Ça s’entend dans la langue. Moi si seulement. Moi seule finalement. Encadrée. ///25 février 2023
La langue entre ses lèvres dépasse. Loyale. Appliquée. Par quelle magie aide-t-elle sa main à arrondir l’angle du P sur la page ? Son avant-bras tremble pour une main contrôlée, stable. Même pas capable d’écrire ton prénom, vaurien. La voix de l’aîné revient, brusque le geste. Gommer, recommencer. Penser les lettres comme dessins, il est bon en dessin. Il « vaut » en dessin. Vaurien. Il reprend, langue à nouveau tendue, même élan que la mine du crayon si taillée qu’elle casse. P. Ovale puis trait ; à la ligne. I Maintenant. Son visage si proche de la page qu’il semble tomber de lui. ///24 février 2023Toute pensée vers toi portée par un chant, airs balbutiés par fragments. La fin de nos vies serait comme ses débuts, voix sans corps visibles. Tu me berçais de mots avant de naître, musique maladroite. Ta voix comme graffiti dans mon sang. Chansons pauvres, déformées, on n’a pas de scrupules. Il s’agit de dire je t’aime de mille façons, le souffler, l’aspirer. Je t’aime. Aujourd’hui je le chante à tes bras absents. Le crier. Je le murmure pour que seule toi l’entende. Je t’aime. Redonner texture à ma langue en peine. Je te rêve. Te répète comme apprend l’enfant. ///23 février 2023 >> en vidéo
Il t’a bougé comme objet. Déplacé. Tu as senti ses ongles se resserrer, poliment exaspérés. Tu serais l’encombrant, matière manquée. Il t’a poussé comme chose, on ne dit rien aux choses. On s’en sépare, on oublie. Tu t’es arrêté, désenchanté. Sourire faux de la dignité. Tu te trompes de geste. Fais-toi objet. Toujours de côté. Un objet ne se mange pas. Prends la force du bois. Oppose tes angles, tes lignes droites. Respire dans le métal. Deviens chose, implacable surface. Rends-toi invisible, présence de corps, lointaine âme. Par moments, choisis d’être objet, tu auras ta liberté d’humain. Son mouvement paradoxal. ///22 février 2023 >> en vidéo
Il fallait le lui rappeler, comme s’il s’agissait d’oubli. Tu n’as pas changé de flanelle, plus d’une semaine, ça sent. La voix de sa femme comme écho des remontrances maternelles. Il s’exécute devant l’intransigeance du linge. Triste d’abandonner ses odeurs, comme s’il quittait un autre soi, son dialogue quotidien. Se retrouver corps perdu sous le vêtement fleurant la lessive. Elle se retient parfois, y pensera-t-il sans son rappel ? l’espère malgré les répétitions, soixante ans de vie commune. Serait-ce l’un des ciments du lien, cette injonction à la propreté. Elle s’occupe de lui, sent sa présence densifiée. Tout contre son odeur. ///21 février 2023
la folie malade, la folie passagère, la folie qu’on envie créatrice marginale, folie destructrice, la folie qui exclut, la folie ordinaire, la folie prétexte, folie arbitraire, la folie qui se cache, la folie qui envahit, la folie imbécile, la folie d’un instant, folie d’autrui, la folie bavarde, folie aveugle, la folie collective, la folie triste, folie nocturne, la folie meurtrière, folie romanesque, la folie du corps, le hasard fou, la gaité folle, la folie évidente comment ne pas, la folie qui sauve, folie du temps, absurde la mort, la folie des animaux, folles lèvres, folie des mots, nos colères d’enfants. ///20 février 2023 >> en vidéo
Mes rêves me connaissent mieux que moi. Ils ont cette impolitesse franche. Me surprennent comme faits divers renversent toutes normes. Mes rêves comme aveux me désignent, me pensent. Sommeil philosophe. Hier, je ne trouvais pas la fonction vidéo de mon nouveau téléphone. Lorsqu’enfin je la repère, la scène à filmer avait disparu. Le temps sauvage des rêves qui prolonge nos gestes. Leur matière enchaînée aux corps. Nous ne quittons pas le réel, nuits troubles de sensations absurdes et précises. Hier j’ai rêvé l’impuissance, le mouvement engourdi. On s’empresse d’oublier nos rêves, leur insistance à poursuivre le dialogue. On se déserte. ///19 février 2023
Joie ou tristesse, tu sonnes faux. Tes yeux se méfient, s’ennuient. Tu agis par audace, ta peau ne rayonne plus. Tu fais. Pour ne pas renoncer, pour l’intention. Sans le désir, tu sonnes faux. Tu te pousses, de peur d’abandonner. Tu décides, bouche fixe. Ta détermination est indifférente, il s’agit de s’acquitter de la vie. De manier les choses des humains. De confirmer sans cesse ta présence au monde. Tes gestes délibérés ne te surprennent pas, tu as perdu l’agilité, la grâce. Tu as l’intelligence, elle sonne faux, comme une politesse sans toi. Sourire facile. Tu ne t’étonnes n’étonnes pas. ///18 février 2023
Tu t’adaptes à l’ordinaire comme lit à une chambre. Tu te moules, utile, comme draps et corps engourdi. Tes pensées sans peau, phrases recyclées. Au chevet des mots, tu ne dors pas, sotte vie de côté. Ton émotion est apnée d’estomac. Tes approximations te tiennent loin. Envahie extérieure, de nécessité contrainte. Tu explores la terre, ses joies froides, comme fêtes finies. Les visages imposent leurs sourires de joues, ça parodie les soleils, les couleurs. Tu vous inventes, liens sans contact. Tu ne te reconnais pas, tu ne rencontres pas, refusée. Ta bouche est trou dévoré. Dents, tes rocs de certitude. ///17 février 2023
Je ne vais pas mieux sous une peau traitée et lisse, je n’y arrive pas. Je n’ai plus la rage de la foi, les jours se décident sans moi qui hésite dans cette vie nouvelle rythmée de sans. Sans. Je ne deviens pas, immobile depuis, achevée. Je ne souffre plus, chimique. Je sais que je souffre sans l’éprouver, comme de parler sous un crâne étranger. Je ne fais pas, je prétexte. Je n’attrape pas la main que l’on me tend. Je ne veux pas sans arriver à renoncer, je n’écris plus, je m’endors. Comme chose, je ne vis pas, j’existe. ///16 février 2023
Je ne te serre pas, mes doigts manquent ta matière. Je fourmille maladroite, aide-moi aidez-moi, je pense, sans dire les mots. Tu tournes autour de mes tremblements raidis. Regarder ta solitude de côté. Je ne suis pas, si tu ne comprimes pas mes os. Je perds contours, tu me refermes comme pages lues. Me vérifies parfois, présence fantoche sans ton poids. Tu m’as rangée, je me répète. Tu ne me serres pas, tu peins ma peau, emportes sa couleur sur ta main. Je reste, arrêtée, j’attends ton geste, matière entre mes lignes. Sans la résistance du corps, le réel m’échappe. ///15 février 2023
Mordre la nuit. Attraper ses pensées. Respirer sa langue. Mâcher les mains. Digérer la javel. Renifler son charme. Roter des pieds. Marcher. Gratter les rires. Bailler du cou. Craquer. Éternuer la peur. Tousser des couleurs. Moucher. Vomir le temps. Parler. Embrasser. Serrer la bête. Gifler de joie. Souffler. Avaler la douleur. Lécher les joues. Chatouiller. Tendre. Crisper les miroirs, voir. Écrire. Caresser les doigts. Pleurer le mal. Lire les bruits. Bouger. Crier sa vie. Reculer. Écouter la mort. Dormir. Boire les mots. Pianoter. Agiter le feu. Baiser. Enlacer la mémoire. Courir. Regarder le corps. Courber l’absence. Geindre. Agenouiller le réel. ///14 février 2023
La ville est laide, hauteurs heurtées de bruits. Ses dents de béton dévastent les bois d’à côté. Horizons défigurés par les murs qui cachent mer et chemins, on les voyait avant. Aujourd’hui, à peine le ciel. Ville laide. Ses rues bousculées de voitures, de klaxons. Ses odeurs abîmées. Pour s’en abstraire, ma mère a fait de son balcon une exception végétale. Elle vit parmi les plantes, veille sur elles comme une bonne mère ; elle l’a toujours été. Son monde, à l’abri des saisons. Ses empreintes vertes sur nos photos maintenant. À l’abri de la vie, du temps. Son éternité végétale. ///13 février 2023
Tu résistes à tes mains, triste de gagner à tous coups. Ton corps, l’imprévu. Tu ne risques pas ton visage, ta vie nerveuse. Tu paralyses ta peau au bruit des autres. Personne de près. Savoir où souffrir et combien : deviner et manquer la magie. Tu te déguises de légendes anciennes. Tu vois bien que tu triches ; tu ne joues pas, tu triches. Tu fais semblant, comme enfant qui attend, ses yeux fermés simulent l’absence. Qui attend le baiser de la nuit. Ce baiser, le prévu de toujours. Ta joue reste hermétique. Vider l’émotion, tu ne seras pas saisie. Vivre suffit. ///12 février 2023
Mon noir n’est pas symbole, il m’habille. Une couleur pour toutes, je simplifie. Comme plat unique pour ne pas choisir. Décider une fois, s’y tenir. J’avance noire, comme une évidence, plus déterminée qu’un rite. Noir aux nuances fragiles par moi seule perçues. Il me signifie discrète, constante par la couleur. Mon noir, un tout ; je suis une. J’aime les teintes vives, les mélanges imprévus. Mais je m’ignore, me vêts de noir. Serais-tu en deuil, se hasarde-t-on parfois. pourquoi toujours, sinon… Mon noir n’est plus symbole, n’est plus couleur. Mon noir est transparence. Je m’habille d’oubli, de saveur sourde. Corps dispensé. ///11 février 2023
Elle note d’une main qui tremble. Les lettres déposées comme tracé médical hésitent entre mots et dessins. Elle note tout. Elle aime les listes, ça désencombre, elle dit. Elle écrit pour mieux s’organiser, s’éviter quelques insomnies. Élaborer les menus des réceptions, les repas des semaines ordinaires. Prévoir les courses. Depuis qu’elle consigne tout, l’écriture s’embarrasse des mêmes doutes. Qui lui rendra visite, quand. Ses sorties, où. L’arrivée de sa fille, son départ. Combien de jours et le compte à rebours. Elle s’obstine, tout noter comme avide de gestes, de faits. Un jour, elle a arrêté. Depuis, elle répète ses questions. ///10 février 2023
Sa voiture, simulacre de maison au plafond bas. Habitée comme chambre d’adolescente. Publique intime. Son désordre, présence intemporelle. Sa voiture est piège de liberté encombrée. D’odeurs prises entre mouvements et immobilité familière. Parfois elles se confondent : sa voiture comme vêtement ou carcasse d’une autre soi. Les bruits de sa mécanique élèvent sa voix. Ses mains au volant réconfortent, elle contrôle sa vie. Avec la vitesse, elle change de corps. Il ne s’agit pas de quitter mais de déplacer les mots. Conduire pour s’éloigner, poussée par des phrases écrasées en bouche. Elle vit déjà comme toujours, sans lieu fixe. Du chemin. ///9 février 2023
Qui de la terre, du soleil, qui tourne autour de qui. Et la lune. Elle ne retient pas. Quels sens prennent les obsessions du crâne. Le sang dans le corps coule-t-il droit. L’air qu’elle respire. La vitesse du son, elle a oublié. Étoiles ou galaxies, comment imaginer l’immense. Les fourmis à ses pieds, miettes de pain. Les oiseaux, vertiges des cieux. Le bruit du monde dans ses oreilles, quel mouvement. Le désordre du vent, les aiguilles d’une montre. Comment bouge le silence. L’agitation de sa peau, colère ou amour. Elle déteste les grandes roues. Ou quand la tête parfois tourne. ///8 février 2023
L’asphalte porterait nos pieds comme presque terre, sans humus. On dormirait à peine dans nos nuits de surface. Elle a été enceinte, presque mère. On se raconterait, illusions confondues. Ce serait presque un feu, chaleur électrique. Suis-je encore fils, orphelin depuis. Le corps comme matière nous colle à la peau. On serait presque poète avec nos textes. Presque écrivains. Ce serait presque un dialogue dans le silence des solitudes. Nos ombres, de nous débarrassées. J’ai presque tes mains, mon frère. Le chant comme longue plainte ralentie. De cette fatigue figée. Tremblements de terre, humains dévastés, une presque guerre. Presque absolu. ///7 février 2023 >> en vidéo
Ce serait comme un geste. Un mouvement simple. Ça aurait la poigne des mains fermes. L’aveu fier, ronde voix. Fi du temps. Ce oui, prononcé comme un souffle. Oui je veux. Ça n’attendrait pas de réponse. Oui pour toujours, sans condition. Oui comme un lieu, oui comme l’accueil. Ça galberait l’oreille, remplirait les yeux. Oui, sans répétition nécessaire. À peine une esquisse de syllabe vaporeuse. Ça fixerait le visage. Le mot d’une seconde, ce oui bavarderait longtemps en elle, secret. Oui, comme prière, discrète confidence. Elle l’entendrait les jours de fatigue, apaisant, comme un pardon sans faute. Oui, aurait-il dit. ///6 février 2023
La lune est forte, j’éteins le reste. De pieds alertes comme d’apprendre à marcher avec d’autres yeux, caresses des contours. Sol, murs, meubles… l’appartement semble flotter, comme terre extérieure, sous une clarté solaire en pleine nuit. Le temps prend densité dans la lenteur de l’obscurité. Mes mains vers les objets, plus délicates. Comme d’approcher un corps nu avec un vêtement fragile. Je suis ici toute, mais aussi à Beyrouth, en Italie, à la montagne… La lune, tellement lune que tous les lieux deviennent comme même corps en sa lumière. On lui attribue insomnie, marée, nervosité… je dirais juste son éclat. ///5 février 2023
Elle dort mange marche parle sous le regard de Dieu. Sans imaginer Dieu, ni ses yeux, elle vit sous son regard, sa sévérité. Sans connaître sa voix. S’excuse, fautive. Le remercie aux jours heureux. Elle le supplie parfois, épargne-moi ou aide-moi. Elle lève alors son visage, paroles retenues sous peau, certaine que ses mots sont vus. Sans imaginer Dieu, ni ses oreilles. Elle se veut rien par moments, quelques minutes d’obscurité totale. Être sans corps, une disparition. Éteindre le regard de Dieu ou le faire cligner assez longtemps, sans penser ses paupières ses cils, le temps d’un répit, d’une absence. ///4 février 2023
comment ça va ? Et ton mari, il va bien ? pourquoi tu viens si rarement, tu ne nous aimes plus ? tu as grossi non, un peu ? tu te sens bien en France ? avec qui tu parles arabe là-bas ? comment tu fais pour supporter l’exil ? tu te vois finir ta vie là-bas ? tu te sens encore libanaise ? est-ce que tu cuisines libanais ? tu n’as pas trop froid en hiver ? tu penses à nous parfois ? tu te plais là-bas ? qui s’occupe de toi quand tu es malade ? tu sais encore écrire l’arabe ? tu ne regrettes pas d’avoir quitté ? tu veux être enterrée où ? ///3 février 2023 >> en vidéo
Il a appris à vivre à deux. Son reflet le répète, inutile de vérifier, il se parle, se répond. S’invective. Va falloir y aller… tu peux pas continuer comme ça… ben je fais tout pour… mais elle me veut quoi elle… sois pas parano, elle ne te regarde pas… je ne sais plus si j’ai éteint la lumière en partant… doucement, tu flippes pour rien… c’est long, beaucoup trop long… Il se vérifie dans les couloirs du métro, le reflet tremblote, acquiesce avant de disparaître avec la lumière du quai. Présence relayée par la pression de sa main en poche. ///2 février 2023
Avec la langue, j’ai appris le symbole. Un sens derrière chaque signe, personnel comme rattaché à notre histoire, mais patent. Certains chiffres porteraient bonheur, chaque couleur parlerait d’une émotion. Et un mois serait versatile, inquiétant en soi. Février, la constance de ses basculements. Ses promesses déçues, ma toussaint personnelle. Je tombe en février. Espère puis tombe. Combien de coups pour toucher terre. À mes pieds des murs, le sol plus bas. Les chutes comme les saisons, certaines. Je crains février, le plus court des mois, le plus instable. Ses dates de bougies inversées. Je rentre dans ses jours avec précaution. ///1 février 2023
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si tu vivais un peu.
je suis sortie marcher pour ne pas écrire
disperser les mots à chaque pas
j’ai filmé, regardé loin
j’ai parlé écouté, éviter d’écrire
j’ai repris leurs phrases, vivre surtout (extrait)#LittéraTube #VidéoEcriture #poésie #écrire
micro journal 305-2023.02.26
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j’ai presque tes mains, mon frère.
l’asphalte porterait nos pieds
comme presque terre, sans l’humus
on dormirait à peine dans nos nuits de surface
elle a été enceinte, presque mère. (extrait)#LittéraTube #VidéoEcriture #poésie #écrire
micro journal 3004-2023.02.24
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des questions.
avec qui tu parles arabe là-bas ?
comment tu fais pour supporter l’exil ?
tu te vois finir ta vie là-bas ?
tu te sens encore libanaise ?
est-ce que tu cuisines libanais ? (extrait)#LittéraTube #VidéoEcriture #poésie #écrire
micro journal 303-2023.02.18
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j’écris avec mon poids de corps.
j’écris avec les pieds,
jetés à petits pas
les mots piétinent d’arrêts
mouvements
j’écris avec mon poids de corps dans les pieds (extrait)#LittéraTube #VidéoEcriture #poésie #écrire
micro journal 302-2023.02.05
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juste polie.
tu vieillis de lumière basse
tes rires ont la voix perplexe
souffle les éclats du temps,
comme enfant ses bougies sucrées
l’arnaque temps (extrait)#LittéraTube #VidéoEcriture #poésie #écrire
micro journal 301-2023.02.04
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janvier | carnet (100 mots par jour et des vidéos)
Tu vieillis de lumière basse. Tes rires ont la voix perplexe. Souffle les éclats du temps, comme enfant ses bougies sucrées. L’arnaque temps. Te dire que tu vieillis ; aimer ça. Vieillir, comme naître autrement. Te soustraire aux lendemains, porter l’ombre sur ton crâne comme couronnement obscur. Tu leur laisseras la lumière. Juste polie. Tu choisis d’éteindre ta peau, te faire blanche comme statue de craie. L’amorce d’une langue qui se rue, ne finit pas ses phrases. Friable demeure. Rabats tes paupières sur ton calme, regard fermé sur le désarroi de ton corps. Tu traînes, prends ce courage-là, ne plus t’attendre. ///31 janvier 2023 >> en vidéo
J’ai oublié le corps. La nécessité du corps, ses réflexes qui sauvent. J’ai perdu le bon sens des gestes, la rondeur des bras, le repli du torse. Perdu les contours, les mouvements modestes de la peau. J’ai oublié l’instinct, le courage des moments confus, les risques joyeux. Je me suis assourdie de détails, d’indices sans mystère. Présence abstraite comme hypothèse humaine. J’ai la nervosité des visages détournés, n’entends plus applaudir mes os. Le regard sans lointain, sans ciel. J’ai troqué mes promesses contre des preuves à reprendre toujours. Doigts crispés sur des illusions, mes fragments de vies sur les lèvres. ///30 janvier 2023
J’essaie un autre moi. Un moi qui rit moins fort, sourit. Il ne pleure pas. Je t’aime, vous dit ce moi-là, il sait, dit, n’éprouve pas. Un moi distant, calmé. J’essaie un moi de tension basse, présence en retrait. Un moi sans moi, sans vous. Même monde au ralenti, voix étouffées. Les mots traînent comme privés du ventre. Les gestes tardent, réponses alanguies. Je perds mes éclats, les sursauts. Peau engourdie. Ce moi parle de moi, ne me dit pas. Il fait pour moi, ne m’anime pas. Il bouge pour que vie continue. Comme d’apprendre à mourir déjà. Cette absence-là. ///29 janvier 2023
>> en vidéoAveugle matin. Mes yeux encore nus de sommeil. Le langage comme cassé hésite entre rêves et mots. Douceur du corps enfoncé, le poids. Tends tes bras pour oublier, on te soulèvera comme petite. Mon ventre bat de présence ample, je suis dedans. Courts craquements d’os comme autant de voix qui saluent. Mes matins de bouche sèche, de temps sonore. La langue claque d’absence d’eau. Approche un citron, comme tu faisais enfant, tu salivais de poser une tranche sur ta lèvre. Sans mordre, sa seule odeur désaltère. Fais-toi saliver comme enfant, bois ta salive. Ma soif d’hiver. Grotesque. Soif comme faim. ///28 janvier 2023
J’écris avec les pieds, jetés à petits pas. Les mots piétinent d’arrêts ; mouvements. J’écris avec mon poids de corps dans les pieds. Leur légèreté matinale. J’écris avec le recul des pieds quand dehors s’approche trop. Leur réflexe de se regarder, l’un l’autre comme solidaires. Je tiens sur la pointe des pieds, verticale pliée. Mes pieds me supportent. J’écris dans l’écart entre deux. Je ne fais pas chanter la terre, je rêverais d’ailes, de nageoires. Les pieds me transportent, jamais loin, à vue d’yeux. Le soir je prends mes orteils entre mes doigts, comme consoler un enfant. Par eux, j’avance debout. ///27 janvier 2023 >> en vidéo
Le mouvement. Elle interprète leur hasard, déduit et reprend. La magie aurait ce rythme. Compter comme parler, sa deuxième langue. Compter comme chant ou battement de sang. Aiguilles d’horloge ou marelle au sol, on s’y adosse comme repères. Ils ont ce pouvoir. Un chiffre impair lui porte toujours chance. Des pairs, elle se méfie. Sauf du zéro. Les vrais chiffres sont impairs, avec ce +1 qui crée la bascule. Elle n’aime pas les opérations, les longs chiffres à lire d’une traite. Elle les préfère dissociés comme lettres d’alphabet. Que ça parle, sans message défini, comme boucles de sens. Cette fantaisie. ///26 janvier 2023
Je suis sortie marcher pour ne pas écrire. Disperser les mots à chaque pas. J’ai filmé, regardé loin. J’ai parlé écouté, éviter d’écrire. J’ai repris leurs phrases, vivre surtout. J’ai répété : si tu vivais un peu. J’ai beaucoup regardé parlé écouté pour ne pas écrire. J’ai marché parmi les gens. Mes mots comme chaussures sur les routes. Tourner la langue autrement. Il fallait m’empêcher d’écrire, cette calamité ; arrêter la faute. J’ai fui les pages. Me suis agitée dans le monde pour camoufler mon besoin. J’ai plongé dans ses bruits pour taire mon corps. Les phrases me venaient séparées de moi. ///25 janvier 2023 >> en vidéo
Il y a vos visages, je les porte sur mes joues, mandibules soudées de rejet. Il y a les corps fantômes. À vous je m’abandonne. Une main de toi maman. Il y a vos histoires, elles recouvrent nos vies. Ton bras mon frère. Long temps sans bouger, ma douleur circulaire. Attente ou prière. Plus jamais répond le chant envolé, la fin serait négation, cet insupportable. Le visage de papa. Folle entêtée, je poursuis vos voix, votre présence étonnée. Il y a des nuits, longues. Leurs heures perdues en marge. Il y a des paroles, elles manquent. Je vous suis orpheline. ///24 janvier 2023
Elle ne mélange pas sa salive. Embrasser mais pas trop, ce qu’il faut de lèvres et de peau. Retenir son haleine, elle ne se mélangera pas aux respirations ; il suffit de détourner le visage d’un balancement pudique. Leurs odeurs racontent des histoires. Cacher ses mains ; mortelles, elles lui échappent. Elle se préfère soustraite, discrète. Oubliée. Écrire par fragments, ne pas relier ses pensées. Distinguer les détails, séparer. Elle veut des pages de mots blancs. Presque lisibles. Se nourrir de plats qui n’amalgament pas. Vivre sans reflets. Elle sera simple, isolée. « Je suis », sans pluriel possible. Singulière, ne se mélange pas. ///23 janvier 2023
De quoi, ta peur. Sois forte, forte comme l’objet. Prends la fixité des objets, cuir ou métal, ta solide matière. Immobile, tu veilles et brises. Forte forcée. Tu crispes, imbécile face aux coups. Brave les précipices yeux fermés. Sois forte comme ta mère, douces femmes des origines. Tiens-toi dans les marges. Forte à distance, en dehors. Oppose ta parole à leurs dents. Ta présence froide. Tremble de cette force délicate. Tu es forte comme la bête. Sors du monde. Forte fuis, tu t’éloignes ; confesses tes larmes, ta fragilité d’avant toi. Un jour j’ai cessé d’être forte, je me suis arrêtée. ///22 janvier 2023
Elle a choisi le dégoût pour éviter leurs mains, bouches ouvertes. Ils sont langue, sueur acide. Dents s’excitent égarées. Ils sont bras, cuisse qui trop s’approche. Rires débordent. Elle, ventre rauque. Et dégoût comme instinct. Suspendre leurs doigts, enfermer les yeux. Quel refuge pour sa peau. Ils sont liquides, pertes qui trop collent, matières molles. Elle se tait, épaules hautes, l’alerte puérile. Tout est signes. proximité. Leur odeur contamine, rattrape. La remplace, se répète. Elle veille, fabule ; l’imaginaire s’emballe, trompe. Le dégoût disperse ses adjectifs, la distrait de l’essentiel : sa terreur blanche. De ses mots, fragmenter leur présence. S’isoler corps. ///21 janvier 2023 >> en vidéo
Tu n’as donc pas pitié. Cruel, comment peux-tu. Ainsi parle la fille à son dieu, persuadée de vivre sous ses yeux. Passive intimité. Il se tiendrait haut, spectateur absolu de sa fiction, patient compagnon de ses dialogues. Sa religion est conversation, elle n’entend pas les réponses, est-ce par manque de foi ? À son dieu, il manquerait le langage. Son silence tombe comme énigmes, délire le réel. Elle cherche la marque de leur duel dans les tremblements ordinaires. Je t’en supplie, t’en supplie. Enfant, il lui suffisait d’insister, sa mère cédait. Merci, lui échappe parfois, parole privée entre elle et lui. ///20 janvier 2023
Me cramponne au seuil, ce point qui sépare, ne détourne pas. Ce n’est pas simple amour des frontières, brèches. Ce n’est pas lieu de passivité. Ni l’impossible choix des gestes qui hésitent, mais lointaine décision, toujours se fragmenter, partout et ici. Empoigner, sur même visage, dedans, dehors et entre. Dans cette proximité distante, je suis avec, ailleurs et avant ; suis pas. Ce n’est pas goût du paradoxe, ses fulgurations. Je désire ce que je ne veux pas, ne peux pas ; anciennes promesses. Si j’écris avec je, sans pseudo-mots pseudo-moi, si je écrit qui je détruis ? Je ne me sauve pas. ///19 janvier 2023
Comme en cuisine, dose tes épices. Trop de ferveur écrase le goût. La juste mesure, sans calcul. Aie la main de ta mère, elle fait à la louche comme elle dit, d’instinct. Écoute l’odeur. Sans sel, l’assiette est fade. Teste l’improbable. Le trop sucré t’écœure. Touille, déchire. Éprouve la finesse de l’amer. Comme en cuisine, tes relations au monde, ton lien à toi. Mijote au feu. Mange, vorace parfois. Déguste les saveurs froides. La vie. Jette s’il faut. Explore les miettes, ce tout effrité. Laisse le plat t’échapper, son goût jamais même. Ainsi les autres. Livre ta gourmandise, généreuse, inquiète. ///18 janvier 2023 >> en vidéo
Une main dans ta poche. Des doigts. Le geste d’une seconde. Tu repasses l’instant que tu n’as pas vécu. Les minutes d’avant. Tu remets en scène, répètes ce moment. Ce qu’il aurait fallu. Ce que tu as mal fait. Les heures d’avant. L’année. Tes décisions fugaces. Sa main plus légère que les gens qui pressent. Tu es à la fois actrice et auteur de mouvements hallucinés. On recommence. Ce n’est pas ça. On n’a pas voulu ça. Le moment où ça descend. Où tu remontes pour supplier, rendez-moi mon téléphone. La foule des fins de journée, sa fatigue de masse. ///17 janvier 2023
Prends le mot mal. Sa voyelle entre deux consonnes, belle musique. Ne te braque pas, laisse parler ce mot. Discrétion de syllabe unique. Aussitôt sur tes gardes, comme terrorisé de te faire avoir. On t’a éduqué à combattre le mal. Saurais-tu le distinguer du mal-être ? Malheureux. Malaise. Maladresse. Malgré soi, ce qui se fait à travers nous. Le mal et la maladie. Le mal-aimé. On évoque parfois un mal nécessaire. À l’extrême, le mal absolu. Je ne joue pas avec les mots, peut-on apprendre sans nommer ? Dissocier le bien du mal. Et quand on a mal ? Réconforté ou puni, selon. ///16 janvier 2023
J’attends le passé. Je suis sans mémoire. M’accroche. C’est une nouvelle histoire, nommée notre vie. On l’habite à plusieurs, sans voir à qui revient tel épisode qui insiste. Notre terre est hall de gare, arrivées et départs confondus. On vit dans les brèches, on s’attend, espaces déplacés et présents. On ne sait pas parler, seules nos voix dialoguent, discrètes tenaces. On apprend leur patience, gravité flottante. J’attends l’oubli qui me concerne. On nous promet la mort comme oubli, sans rêve qui harponne. Je me fais passé. On s’y rejoindra, nouveaux exils où j’attendrai les origines. Morts, on attendra la vie. ///15 janvier 2023 >> en vidéo
Il lui demande, dis une couleur, la première qui te vient. Transparence. Puis elle précise, non pas voir par transparence, mais voir la transparence. Elle dit, parfois la transparence est plus opaque que la plus noire des couleurs. C’est dans un bureau, on dirait qu’elle n’a pas de corps, leurs voix de groupe passent, soudain pressées comme pour éviter son visage. Elle est comme disparue. Le clochard par terre, on le contourne de justesse. Sa transparence, l’odeur qui surprend. La petite terrifiée entre leurs deux corps basculés. Leurs mots, surenchère de violence. Ils ne voient pas son visage pierre, transparent. ///14 janvier 2023
Tu y es presque et ça s’arrête comme piège. Toujours ce lieu où s’arrête. Alors que presque. Qui ce tu. La manie de te parler au tu. Ça ne fonctionnera pas si je ne se dit pas, comment veux-tu être, si je suis, n’est pas. Prise de mouvement, comme si tout chemin était vie. Qu’importe l’objectif, tu as l’élan. Qui ce tu qui s’arrête aux lignes du presque. Tu dis je parfois, tu t’en excuserais si tu pouvais. Tu dis je comme un tu qui parle au je. Un autre toi. Qui usurpe qui ? Ça ne fonctionnera pas sans je. ///13 janvier 2023 >> en vidéo
L’ami qui coupe le lien un jour, sans raison, ne répond plus. La jeune fille qui campe devant la porte, mais attend que d’autres doigts l’ouvrent. La psy qui donne des conseils, les mêmes, à tous patients. La collègue qui repasse pour corriger des détails, elle, c’est toujours mieux. La fille qui mange en cachette, la mère qui fait semblant de ne pas voir. L’aîné qui pince en douce le nouveau-né pour confondre sa souffrance avec la douleur du frère. La salariée qui redouble de zèle pour un sourire supérieur. L’ironie comme mépris masqué. La voisine qui pleure la nuit. ///12 janvier 2023
Premier mercredi du mois, midi. Ici la sirène est code. J’apprends à devenir française, ne pas m’alarmer au son qui monte descend. Descendre et monter me rappellent les abris, nos précipitations. Notre guerre sans mesure d’anticipation. Les alertes n’avaient pas de code, le danger venait sans intermédiaire, direct comme l’instant ; sifflement de bombes, explosions proches, secousses du monde. Sans recours au code-symbole, on savait, se ruait comme sauvages vers les sous-sols. Pour remonter dans le silence des accalmies. Il arrivait qu’on soit blessés ou tués en chemin. Alertes aléatoires, sans la précision parfaitement rodée de la petite sirène en France. ///11 janvier 2023
Il faut vivre Madame ! La littérature la poésie, ce n’est pas la vie. Faites-vous plaisir, voyez du monde. Lire écrire seraient mourir. À la présence en écriture, préfère le plaisir. Arrête tes doigts, pose les livres. Parler, marcher, cuisiner… la vie. Rire avec les amis. Quitte ton cri, abandonne ton mouvement, renonce. Le réel serait s’occuper, pose tes images, sois utile. Tais les symboles, perds toute vision. Oublie qu’écrire te fait. Que vivre te fait écrire. Traite les mots comme pénible démangeaison, il suffirait de ne pas gratter. Touche les murs, palpe le métal. Obstine-toi à vivre pour vivre. Rampe. ///10 janvier 2023
« Sommes-nous libres de nos choix ? ». Elle a 17 ans. Dans la hiérarchie de ses études, la philo passe en dernier, on lui demande de réussir sa vie, non la penser. Aujourd’hui, elle s’autorisera cette liberté : écrire, ne pas censurer, se contredire. Sans savoirs ni enjeu, suivre tout mouvement qui émerge. Avoir cette patience-là. Les réponses aussitôt questions. Son plaidoyer pour une humanité libre se conclut sur un paradoxe : « Un marginal agit-il librement quand il choisit sa liberté ? N’est-il pas lui aussi assujetti à des idéaux ? ». Elle a 17 ans, elle savoure que liberté soit apologie et réfutation, en même geste. ///9 janvier 2023
On ne l’ose pas toujours. On ne l’exprime pas, on s’interdit. On l’adresse autrement. On a le regard qui demande. On a les mains qui attendent rusées. Est-ce que tu m’aimes ? La question qui ne se pose pas bascule en prière. On mise notre âme. On donnerait tout. On s’agrippe. Interpréter douter espérer s’inquiéter souffrir manigancer… Ton sourire me rassure ; tu me parles, ça réconforte… Ni preuves ni absence, on s’obsède. Combien m’aimes-tu ? On ne veut pas de chiffre, l’absolu ne se mesure pas. Plus que ciel, disaient nos mères ; et toi. M’aimes-tu, combien. On perd : aucune réponse ne convient. ///8 janvier 2023
Comme ça tu t’étonnes. T’étonnes qu’il cesse. Il t’aurait aimé mais maintenant. Sidérée, tu dis. Traitée ainsi, comment peut-il. Vos années, aujourd’hui ça. Tu t’étonnes qu’eux, passifs comme spectateurs, compatissants passifs, c’est pire. Comment ça, tu es surprise. Tu croyais quoi, épargnée parce que toi. Les autres, pas toi. Ce toi d’aujourd’hui est une autre toi. Toi, qui n’es plus. Tu cherches l’erreur, ton faux pas. Ça t’obsède. Réparer. Quelle faute illisible. Réel aussi absurde que ça. Tu rumines pétrifiée, ta révolte est violence assagie. Comme ça, tu t’étonnes quand monde bat d’injustice ordinaire. T’obstines, tu ne mérites pas ça. ///7 janvier 2023
La chanson comme refrain revenait, une ancienne chanson de Sabah. Demain ma chérie grandira, ira à l’école, on dira que ma fille est bonne élève, ses notes bonnes, toi chérie de ta mère, aimée de tes frères, ta photo grandit dans mon regard, du matin jusqu’au soir, et je me dis c’est bien, elle grandira et sera ingénieure. Cette chanson avec l’accent presque étranger, ces paroles dans la langue qu’on écrit. Chantée dans la langue précieuse des livres, chantée naïve. Ma mère reprenait, exaltait son amour dans des balancements de visage. Moi de sourire, ingénieure j’ai failli, pour toi maman. ///6 janvier 2023
L’arrogance des mains vides. Il ne les salira pas à toucher quelque autre peau. Il achète. Ce privilège pauvre de souverain sans présence. Ne renoncera pas, se refusera. Avidité de bouche pleine. Il se nettoiera les dents avec le scrupule des bouchers anesthésiés. Il se crispe de politesse, ignore le respect. Il tombe de pitié comme s’abandonner au sommeil, ne s’abaissera pas à compatir. Ne s’échappe pas de lui, son territoire, sa famille. Sa parole est discours. L’élan stratégie. La voix grince synthétique. Il achète, ça paie l’attachement. Quelle attente les maintient là ses côtés. Absurdes règles de nos temps écrasés. ///5 janvier 2023
Se contenir. Séparer. Soi, l’autre. Passive comme deuxième peau. Ou se décaler. Il faudrait plus de distance. Elle se voit regarder de haut, très haut ; se tenir plus haut encore. Haut combien comment. Lointaine, moins voir mais mieux voir, comme ces attentions flottantes plus affûtées que tous efforts crispés. Le plus loin possible sans perdre de vue la terre. Le monde, petit. Les pays, confondus. Villes et océans, minuscules. Vagues traces de couleur, de formes. Nos maisons, que reste-t-il des maisons de haut, si loin. Où sont les humains, invisibles masses ; leurs animaux. Mais elle, surtout elle, rien. Et disparait. ///4 janvier 2023
Battre des pieds, réveiller les pierres, que s’agace la vie dans mon sang. J’assiste aux gens, visage chuté. Privée. Ils dévorent mon cri, je suis leur absente. Os bruyants sous peau retenue, genoux comme tourbillons. Que peut-on contre la mort. Depuis sans vous, je ne connais confiance ni mots neufs. Lourde de pertes. Je bats, fruste front. Violence de bouche fermée, suspendre la parole, la fracasser de nerfs. J’écris mon corps boiteux de pensées morcelées. Fatiguer le cœur, que tombent les rancunes sans ennemi nommé. J’entends résonner ma matière jusqu’au pardon. L’étourdissement des coups rendus. Alors peut-être l’abandon sera. L’intime. ///3 janvier 2023
>> en vidéoQuelle est ta couleur préférée. Comme l’amie, qui la meilleure. Comme jour de semaine, quel jour tu aimes. Comme opinion. Ou comme pays, lequel élire pour l’exil. Ton père ou ta mère. Quel prof à l’école. Fruit. Plat. Le plus beau souvenir. Si tu ne devais en sauver qu’une, qu’un. Puis du bleu, si tu retiens le bleu, lequel. Bleu céleste bleu électrique bleu outremer bleu ardoise bleu azur bleu barbeau bleu canard bleu ciel bleu de nuit bleu de Prusse bleu horizon bleu lapis bleu lavande bleu marin bleu pervenche bleu pétrole bleu poudre bleu roi. Et parmi les tonalités du bleu choisi, lequel. Décide, comme pour tout, élimine. Les nuances te perdront. ///2 janvier 2023
Tu as rejoint le canapé du matin, l’espace du silence comme première compagnie. Lumière particulière. Toi passive alerte en traînées de sommeil. Aujourd’hui tu as pleuré de paradoxes. Te trouver là (retrouver la puissance de cet entre-deux, entre lit et dehors), juste place et seule. Vigueur des matins, c’est ton étrange foi. Tout début est adresse de différence, comme si tu n’étais d’aucune identité, d’aucune histoire. Rompue, autre à la seconde. Tu as la patience de ces surgissements. Mais la perte ? Le matin est aussi abandon des veilles. Et dans ce vertige, ton œil figé. Fragments d’avant bascule. Quelle nécessité. ///1 janvier 2023
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moi sans moi.
un moi distant, calmé
j’essaie un moi de tension basse
présence en retrait
un moi sans moi, sans vous. (extrait)#LittéraTube #VidéoEcriture #poésie #écrire
micro journal 300-2023.01.29
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l’oubli qui nous concerne.
j’attends le passé
je suis sans mémoire
m’accroche
c’est une nouvelle histoire
nommée notre vie
on l’habite à plusieurs
sans voir à qui revient tel épisode qui insiste (extrait)#LittéraTube #VidéoEcriture #poésie #écrire
micro journal 299-2023.01.28
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depuis sans vous.
battre des pieds,
réveiller les pierres,
que s’agace la vie dans mon sang.
j’assiste aux gens, visage chuté (extrait)#LittéraTube #VidéoEcriture #poésie #écrire
micro journal 298-2023.01.22
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revue Radicale. RADICAL(AME) !
immense joie d’être publiée (poème et photos) dans le dernier numéro de la revue Radicale. RADICAL(AME) !
Je remercie Guylaine Monnier et Amelie Guyot pour leur accueil
Sortie du tract de poésie (𝗥𝗮𝗱𝗶𝗰𝗮𝗹)𝗮𝗺𝗲 – version brute N&B 
━━━━En vente 7,32€ (fdp inclus)━━━━ 
Ce nouveau numéro de la revue 𝗥𝗔𝗗𝗜𝗖𝗔𝗟(𝗘) présente des textes de :
Laura Vazquez, Maud Thiria, Claire Paulian, Gracia Bejjani, Cécile Pégaz et Solène Planchaisavec des images de Gracia Bejjani
En vente: www.pupilles-vagabondes.com/radicale / librairie EXC / librairie L’Ours Vieille Grille.
Les infos pour la soirée de lancement à EXC Librairie, Paris: samedi 28 janvier, 19h, en présence de nombreuses autrices de la revue – événement FB: https://fb.me/e/2jxvoI2FJ (entrée libre)
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nos mains ressuscitées.
…les voix s’empilent derrière les vitres assourdies
on attend
on regarde les gens se déverser, répandre leur normalité
sommes-nous les intrus de leurs nuits
nous vivons enchaînés à leur fiction (extrait)#LittéraTube #VidéoEcriture #poésie #écrire
micro journal 297-2023.01.16
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le réel est malentendu nerveux
…j’ai perdu ma foi d’origine
ne veux plus de l’espoir, de ses prétendues valeurs
séparés sans fin
nous avions conclu l’absence
vous me perdez sans le voir
j’écoute la fatigue manquer le silence
je ne suis d’aucune parole (extrait)#LittéraTube #VidéoEcriture #poésie #écrire
micro journal 296-2023.01.08
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elles ont toujours tremblé
les routes battent sans tes pieds
te bousculent, un jour sera fin
trop rapide, diraient tes yeux assaillis
la vie te court devant
sols comme pages, tes pas de mots
tu écris avec l’oubli, contre les violences tues
tu ne retiens pas la mémoire, sa fuite étroite (extrait)réalisée dans la cadre des vases communicants
Images : Juliette Cortese – Texte et voix : Gracia Bejjani#LittéraTube #VidéoEcriture #poésie #écrire #vasescommunicants
micro journal 295-2023.01.06
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tu n’es pas souvenirs, tu vis.
dans ta maison sans toi, je te regarde
tu émerges du temps, ma compagne de tous lieux quittés
ta voix tendue de chansons -oui tu chantes encore pour moi-
tu es de tous les instants, éblouissante surgie
exister sans mère, ce semblant, sans ta vie
les seuils me regardent vivre, cachée,
ni là ni autre (extrait)Musique : Omar Yagoubi, le lutin, étude véloce pour piano
#LittéraTube #VidéoEcriture #poésie #écrire
micro journal microjournal 294-2022.12.31
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WAM! n°8 (décembre 2022)
écrire mon épitaphe ? fait ! et c’est dans le nouveau WAL ! pour le geste, l’écriture de ce comme si…
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la faim qui attrape.
faim des ventres pleins
la faim sans signe, faim qui attrape
sa bouche mord de colère éphémère
comme qui n’a pas les moyens de sa puissance
elle se précipite, rien n’échappe
douce hostile (extrait)#LittéraTube #VidéoEcriture #poésie #écrire
micro journal 293-2022.12.26
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carnet | nov-déc 22 (écrire vite, court, tout quasi jour)
#26
tais tout ça reprend rabâche m’abstenir trop de mots, trop de quelque chose ça commente tu te répètes voles en éclat chut faire le vide je fais le vide avec la parole tu arrêtes les mots par les mots je pense le ne pas penser me dire de me taire c’est parler ne pas commenter le vide me vider ne pense pas tu fais exister ne dis pas tu fais exister je me crispe sur le vide j’en suis pleine tu imploses faire le vide ça passe par les mots dire le vide le remplit mon trop-plein#25
Ça a commencé par hasard. Tu veux bien répondre à des questions, je te filme. Elle vérifiait les prises, l’image surtout, je supprimais quand elle ne se trouvait pas assez belle. J’ai ça maintenant, cette innocence, écho des murmures qui hantent. Ses visages, comme éternité, depuis que je suis sans elle. Retenir sa voix. Elle chante, défi de présence ; elle me prononce proche, me parle immédiat. Précipite ses rires, nous répète et je nous entends. Son absolu à chaque surgissement. Je m’agrippe, contaminée de manque.
#24
je me hais me hais d’être tant familière des guerres que plus rien | me hais de n’éprouver rien | de tant avoir enseveli de morts que vie et mort jettent même bruit de galop | l’effroyable banalisé| me hais de perdre le collectif le monde | ni compassion ni révolte | me hais de m’acharner de m’exclure | que tout ne soit que trous de serrure, journées sans intérêt les miennes | l’impossibilité de | que mes tristesses m’enterrent comme m’obsèdent mes chers perdus | me hais de regarder d’entendre l’absence dans toute parole | que tout drame me soit mime, le langage mensonge absolu.#23
Ça ne sera pas un fait divers, ce fait banal aussitôt effacé dans le magma des drames du pays. On n’en parlera pas, journaux assaillis d’autres voix, désastres partagés. Ça ne sera pas un fait divers, on le dira accident, certains préciseront domestique, avec cette pointe de mépris involontaire. Ça n’aura pas l’attrait monstrueux d’un fait divers. Ne cherchez pas à voir. Éloignez-vous de nos murs, l’affaire est personnelle, on la mangera comme nos autres secrets, tragiques intimes. On se drapera de pudeur.#22
il a pourtant fallu retourner, valise fermée comme le visage du père | rentre chez toi ma fille, pas de ça chez nous | elle avait pleuré expliqué, calvaire de vie | il a répété sans un sourire de trop, le mariage est sacré, ta place près de lui | martelé sans douceur, tu n’aurais pas dû, et tes enfants | il a fallu retrouver les anciennes nuits | comme si de rien n’était, se résigner épouse, se consacrer mère | il aurait fallu naître ailleurs, en d’autres temps | halluciner d’autres vies | elle aurait alors peut-être pu.#21
pourquoi il fait ça laisse tomber mais quand même je ne comprends pas tu t’en fous on n’a pas les mêmes valeurs ils me font rire ces gens dans le métro on est tous pareils quand ça stresse indécent il est vraiment il faut que je quitte pourquoi je reste c’est fou ce chantier ça change tous les jours comme ça près de la gare pourquoi tant de valises ce matin première fois sans eux aucune envie de fête c’est beau leur joie de langues étrangères je n’ose pas filmerai sinon je ne sais pas je suis heureuse toujours le matin c’est fou ça me va bien le matin si les heures étaient vêtements je dirais que le matin me va le mieux à merveille.#20
Depuis (sans toi), il me faut ça, devenir deux en même vide énoncé. Deux et plusieurs. Le manque affirme mon absence. Je vois mes gestes me maintenir. Fragments. Mes bras se détachent, mots me détournent, mes regards m’effacent. Les pieds battent d’autres terres. Combien de corps nous articulent. Je ne suis pas seule, dispersée deux et plusieurs. Je t’ai veillée, l’espoir comme miroir lourd de paroles trompeuses. Depuis sans toi, interrompue. Je joue depuis, comme flou éclaté d’une marge sans toi. Nous répéter ne te fera revenir.#19
Son lit comme ventre muet. Dans sa chambre, tu n’attends rien. Immobile près d’elle. Allongée flanc gauche, bras ankylosé sous ton poids, tu ne bougeras pas. Tu voyages sur ses paupières fermées. Son profil, icône paisible quand la douleur, l’insoutenable, tombe. Heures nouvelles, sans rien attendre. Tu écoutes expirer la machine à oxygène, intruse présence. Ta prostration. Son corps, légers tremblements, gestes brusques par instant. Elle ouvre les yeux, regarde vers toi. Tu n’attends pas, elle te sourira. Te caresse déjà l’avant-bras ; ne s’attendait pas à ce que tu sois restée.
#18
Les chiffres comme 3e et nouvelle langue. Vous êtes 5. 4 garçons, 1 fille. Tu as 1 mère et 1 père. Tu as 1 tante et 3 oncles maternels. 11 du côté paternel, combien de femmes combien d’hommes, te concentrer avec les doigts pour bégayer le tableau. Le monde en dialogues chiffrés. Plus stables que les mots, comme pierre pour les pieds. 1, 2, 3, 4, 5… reprendre quand tu oublies. Rassurée de retrouver la suite, on ne s’y perd pas longtemps. Répéter bercée par ces refrains immédiats. Répéter ; ça bat dans ta peau comme le cœur de ta maman contre ton visage.#17
Déplacer mon corps. Dégager ses alentours. Sortir mes yeux des trous de serrure. C’est moi que j’éloigne. Séparer mes ombres. Me pousser, quitter ce point. Bouger des os. Décentrer le cœur. Bouger, exagérer le geste. Jambes bras, tout de moi : décaler ce corps pour ne pas basculer. Dos détaché comme on décolle la peau. Je porte mon corps. À secouer. Projeter mon bassin, plus loin que possible. Bouger du monde ancien comme on décale un meuble. Quitter sans sembler trembler. Forcer le mouvement ou l’immobiliser.#16
La main retient la porte, pieds s’impatientent ; je remercie | Les voix de la RATP nous informent nous alertent, nous : nous le savons déjà | Il me tient la porte et c’est lui qui sourit comme de gratitude | Il me tend un document qui ne me concerne pas, mais il n’en démord pas | Vous pouvez revenir quand vous voulez | Je vais vous trouver une solution, laissez-moi regarder une seconde | Tu l’embrasses de ma part, je n’arrivais pas à la joindre, je m’inquiétais.
#15
Assumer la détresse de cette nuit pour qu’elle chemine vers son terme et son retournement. Littéralement précipiter le monde dans l’abîme où déjà il se trouve. En chacun se poursuit le combat d’un faux jour qui se succède avec la vraie nuit qui se fortifie. De fausse aurore en fausse aurore, et de leur successif démantèlement par la reconnaissance de leur illusoire clarté, s’approfondit la nuit, et s’ouvre la tranchée de notre chemin dans la nuit.Passage de hasard de l’auteur d’à côté, son recueil à mes côtés. Page au hasard surgi du déséquilibre, le livre perd ses feuilles, on devine la collection. Saisir le texte entre mes doigts agités à retenir les pages qui se détachent, à tenir le paragraphe, à recopier ses phrases. Fidèle à la virgule près, ces virgules que je n’aurais pas gardées. Résister à la tentation de changer de poème, choisir au lieu de cette passivité arbitraire. Chambre de silence, quelques alertes sonores de messages que j’ignore, doigts pris par le bloc de mots, page 184.
#14
Casser le temps, ses aiguilles qui harponnent tous gestes, emprise de chiffres. Détruire ce temple étranger au réel. Enserrer les heures en une pointe unique ; les minutes et les secondes sauvages. Détourner montres, calendrier, agenda, en faire des coloriages, formes creusées sans nos âmes. On ne bougera pas dans le temps comptable. Pieds au sol, sans débris de passé, sans tremblements des fins. Il n’y a pas de début. Ni coupure ni continuité. Les morts sont présence d’une autre poussière que nos peaux frileuses.#13
Vous ne voyez pas qu’il n’y a plus de place. Doucement. Ce n’est pas grave. Voilà comme ça par exempte. Ah non je suis descendu pour laisser sortir, je rentre. Pardon. Pardon. Pardon. Pardon. Attendez elle ne s’ouvre pas encore. Ah désolée. Pas de problème. De toute façon moi aujourd’hui… Vois avec tes oreilles il a dit. Vous êtes notre première patiente de l’après-midi. Pour la première fois en 8 ans je change de menu, il ne va rien comprendre. Elle ne t’a rien dit ? Ça craint. J’ai l’impression, c’est juste une impression. J’avais une question, on m’a dit que tout allait bien… Non on ne part pas encore, le médecin va te voir; tu es sage, oui, oui. Rappelez-moi votre nom. Y a des gens ils ont besoin qu’on leur dise que c’est bien ce qu’ils font et d’autres ils savent, pas besoin. Je trouve que Hugo va bien avec Chloé, c’est la combinaison parfaite tu vois. Ce n’est pas facile tu vois. Tu sais que pour moi c’est trop un truc que je voulais genre mais un an à ça, ça a rendu le truc mécanique, genre tu vois ? J’adore les images mais j’ai tellement fait genre que je n’avais plus d’inspi tu vois. J’adore avoir fait ça parce que ça m’a permis de savoir que je ne voulais pas le faire enfin tu vois enfin genre.#12
Ni lire ni nommer, mots à l’écran de l’iPhone comme ruine d’alphabet. L’annonce de l’ineffable, l’annonce sans bouche. Tu as compris dans l’instant. Tu resteras coincée dans cette seconde, comme enfermée dans ce matin-là. Violence d’un immédiat détruit. Sa mort est l’absolu manifesté. Il n’y a plus de temps, tu es orpheline de frère. Énigme prématurée.#11
Elle, à la porte. Ce qu’elle retient d’elle pour ne pas te retenir, te supplier. Reste. Sa main sur la poignée pour ne pas agripper tes os, t’obliger. Tu chantes pour la faire rire, consoler votre lien. Elle, ses lèvres tremblent pour se refuser les mots. Reste. Ses yeux qui ont toute puissance, arrêter ton monde, le ramasser. Tu partiras, ton corps seul précipité vers l’aéroport, l’occident, ton agitation. Elle, son silence. Ton corps quittera. Il te quittera et elle. Toi tu restes, avec ta mère. Immobilité de seuil.#10
Il a fallu trouver autre chose. Puisque fille. Protéger les robes, ne pas abimer le corps. Il a fallu renoncer aux jeux de catch et de guerre. Flâner parmi d’autres terrains, sans cris ni foot. Les livres comme objets ont bâti ces espaces. Demeure de papier où me cacher, convertir mon dépit, ma honte. L’écrit, alternative aux poupées des petites : il a bien fallu abandonner les jeux des frères. Ni fille, ni garçon, me suis remise aux livres comme matière à voir et toucher. Puis délier une autre puissance, les textes. Lire écrire, dedans et dehors ramassés, seuil où je me décide.#9
pendant que je traverse au feu rouge, je suis nos tracés de solitude | pendant que je regarde le ciel, la mer me manque | pendant que je ris avec mon frère, maman est contre ma peau | pendant que je baisse les paupières pour me taire au monde, mon sang s’agite | pendant que j’écoute, je me demande si mes pensées sont visibles, si je peux être trahie par leurs odeurs | ils défendent des opinions, je m’abstrais | pendant que les mots (je n’étreindrai plus Paul) tentent de rendre sa mort réelle, son visage m’apparaît, fracas et vitalité.#8
À l’Université libanaise. Ne pas m’attarder sur la photo. La classe est dans le noir, quelques tables éclairées par les smartphones tenus à bout de bras. On devine les corps dans l’obscurité, ne pas regarder leurs traits. Leurs immobilités devant les cahiers. C’est une photo, c’est leur quotidien immédiat, mon réel amplifié. Ne pas écouter les souvenirs, les devoirs à la bougie, toute ma scolarité. Ne pas m’attarder sur la photo surgie du hasard, ne pas liker, ni réagir. Éviter leurs bouches solennelles, les pages éblouies de lumière blanche dans un pays sans électricité.#7
Lèvre d’en haut, dressée devant ; prête à empoigner, comme main à l’affût. Le visage envahi d’elle, dents recouvertes, langue engloutie. La lèvre supérieure prend place : supérieure, au pied de la lettre | Bouche entrouverte sur des rêves qui durent, babil muet. Les yeux et front tombent dans un même geste d’abandon, expose sa jeunesse | Présence confiée au smartphone. Du visage penché, on ne voit que le crâne, comme immense joue lisse, lustrée. Résister à l’irrépressible envie de caresse. Je veux même douceur pour mes dernières années.#6
Il a ce regard de paupières, yeux bleus entre éveil et somnolence. Comme s’il se tenait au bord de nos mouvements. On pourrait le penser concentré, attentif. Je vérifie, ses pupilles restent immobiles malgré mes gestes. On pourrait le croire intéressé par nos vies. Il trône, figé dans son semblant de présence comme statue à honorer. Je me garde de trahir le secret de mon grand-père, de peur de voir son visage s’effacer.#5
Lundi sans ciel. Ou son trop plein. Le ciel est tombé. Par terre. Perdu sur les murs, dans les feuilles. Ciel sur nos peaux, nos visages d’hiver. Diffus sur les toits des voitures. Ciel partout, ce matin fracassé. Partout et nulle part, détalé. Comme manqué, dissous. Ciel de monstrueuse présence. Blanc sans seuil. Comme grand lâcher d’âmes, particules de nos morts ; on les appelle anges, je les préfère humains, manifestés.
Vérifier le ciel au réveil, par lui je sais que je suis en vie.#4
Tu veux quoi. Plus je pense moins je sais
#3
Sa voix parlait aux autres alentour. Eut-il fallu qu’il me l’adresse pour que je l’entende aujourd’hui ? Qu’elle disperse ma matière. Je décrirai sa voix, la dirai pierreuse, paysanne. Je parlerai de son accent de montagnes sans saison. Ne l’entendrai pas. Il aurait fallu traverser le salon, ne pas se cogner aux tables basses, aux fauteuils. Lui adresser ma présence, une main sur son bras. Qu’il me voie l’écouter. Les histoires de nos ancêtres à travers sa voix, il m’aurait fallu.#2
Je n’entends plus sa voix, devenue image. Je la vois, la vis en mots, mots n’entendent pas. Comme si la langue s’était approprié le réel, mon grand-père souvenir. Je n’entends pas sa voix, mais je saurais la dire. Il me revient, silhouette courbée, présence de fenêtres. Depuis, j’ai l’amour des fenêtres, nécessité de ciel visible. Il ne me regardait ni n’écoutait. Plus tard il s’intéressera à moi, j’existerai. Je me répétais, sans arriver à l’accrocher de mes yeux qui le fixaient, impoliment commentait ma mère.#1
Il le touche du doigt, une deux trois fois, tremble devant. Le bouton ne bouge pas, porte fermée immobile. Les autres piaffent dans son dos, passagers enfermés dans son mouvement. Il tente le majeur, ses lèvres se serrent comme pour accompagner la main. Le bras droit s’accroche à la canne qui aide à marcher. Tout de lui se crispe et frémit au rythme des doigts qui caressent, croyant pousser. La porte s’ouvre, fracas métallique. De son bâton, il pointe l’extérieur où s’évadent déjà ces corps qui ont trop attendu.écrit dans le cadre d’un atelier proposé par François Bon
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autofictiographie #10, j’entends les mots me penser.
j’ai oublié mes mots d’enfant
demain si prévisible que paupières se crispent, présent manqué
la chaleur m’empêche d’analyser, genoux ramollis
je vertige paroles décousues, nos dialogues comme mouches
je défais le temps, m’étale comme ventre paresseux (extrait)#LittéraTube #VidéoEcriture #poésie #écrire
micro journal 292-2022.12.18
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la patience des nuits.
depuis sans toi
j’ai perdu l’attente
perdu la joie de toute attente
j’ai pris la patience des nuits
me quitte la nécessité récit sauvage d’entre-deux
tout me quitte
la colère qui tient en éveil (extrait)#LittéraTube #VidéoEcriture #poésie #écrire
micro journal 291-2022.11.27
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j’ai peur d’un jour vous oublier.
vous avez cette voix, ce rire
qui fait aimer le dialogue
notes nomades sur ma peau
vous ne consolez pas,
vous ne rassurez pas (extrait)#LittéraTube #VidéoEcriture #poésie #écrire
micro journal 290-2022.11.20
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elle a pris la présence terrible des visages.
elle a pris la présence terrible des visages
elle n’est pas à portée de peau
privée d’elle, tu es l’abandonnée
monde de passagers sans tendresse
tu t’attardes dans ses marques
tu es l’enfant sans mère, factice adulte (extrait)#LittéraTube #VidéoEcriture #poésie #écrire
micro journal 289-2022.11.13
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veille sur l’âge de tes gestes.
suffoque de sommeil empêché
écrase ta pensée, le doute va trop vite
tu seras sauvée de quelles fautes, tu oublies les raisons
dors sur tes genoux, dors sur ta fatigue (extrait)#LittéraTube #VidéoEcriture #poésie #écrire
micro journal 288-2022.11.06
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Relire notre histoire au hasard des photos
Flashphoto agrandit tout.
Ça pourrait être un slogan sur la devanture du magasin. C’est la répartie triomphale de ma mère à chaque nouvel accrochage au mur. À l’heure où ses contemporains multiplient les versions numériques d’un même cliché, pour créer l’image idéale, maman choisit sans hésiter une photo, puis l’autre pour les dupliquer (sans les négatifs détériorés depuis). Ou, et surtout, les agrandir. Alors que nous zoomons et dézoomons à l’écran, testons et posons des filtres, recadrons ou retouchons… elle découvre avec enthousiasme ses « tableaux » restitués, enchantée de voir sa famille en grand. Aucun argument technique ne viendra altérer sa joie à déjeuner devant nos visages de gamins heureux de fixer droit, réunis sur les murs de la salle à manger. Sa fierté de relever que nous étions très bien habillés, n’est-ce pas.
Flashphoto agrandit tout, mais il estompe les contrastes. Le photographe la prévient : la qualité des originaux ne permettra pas de faire des miracles. Qu’il se détrompe, ils n’en ont juste pas la même définition. Dans la perception de maman, le miracle n’est pas forcément grandiose, là réside sa vraie magie, surgir du peu : la matérialité de la photo suffit à provoquer la présence, tel un talisman elle n’est pas importante en soi, mais comme support. Ma mère ne l’envisage pas selon les mêmes critères esthétiques que les professionnels de l’image, le rendu est beau par ce qu’il nous donne à être. La photo ne reproduit pas, elle produit les retrouvailles. Fut-elle floue, pixellisée parfois. L’essentiel est de côtoyer les siens en permanence, de pouvoir leur parler, de vivre devant leurs yeux, traces d’une histoire en commun. Comme en toutes choses, maman a le geste décalé, prosaïquement artistique.
Tout retour à la maison me confronte ainsi au passé, avec parfois le regret d’être humaine, soumise au temps, aux pertes inéluctables. Au nécessaire travail de mémoire. Pour rectifier les zones illisibles de ces photos pâlies, je superpose le souvenir au papier. Chaque capture est acte et silence. Ici dans une rue de Beyrouth, une photo-surprise réalisée il y a plus de 50 ans, mouvement volé retenu. Ma mère jeune, dans la rue avec son beau-frère. On les devine, mais on pourrait aussi les imaginer sortir d’un écran de film ancien. Noir et blanc, rareté, posture des corps, gravité et expressivité… nous portons sur papier, un air d’acteurs vieillissants. Maman a un faible pour cette photo, elle l’a également agrandie, exposée dans un coin du séjour.
Les reproduire pour les partager en gardant les originaux. Pour les montrer aussi : habiller de visages humains les murs et étagères de toutes les pièces, des couloirs, des chambres. Le jour où elle a manqué de place pour ses nouvelles acquisitions, ma mère a trouvé d’autres territoires à investir : les coincer sous la planche en verre de la table de la salle de séjour. Le hasard de ces scènes glissées sous verre décide de la recomposition d’une vie. Il m’arrive de fermer les yeux à tout le reste, n’être plus que paupières mi-closes, regard flottant sur les murs, étagères et tables. Me laisser envahir par les photos entrelacées superposées juxtaposées comme projections de lanternes magiques. Nos vies. Vertige, mélancolie parfois. Je vois en creux tous les autres moments sans trace. Tous les instants absents qui ressemblent alors à des objets égarés, matière fugace de nos existences.
Des trous dans les pages. De plus en plus de trous. Un jour maman a cessé de dupliquer, elle s’est mise à distribuer.
Ah, tu ne la trouves plus ? C’est peut-être ton frère. Il a pris ses photos, lui, sa femme, ses enfants. Notre famille. Lui, petit : je vois bien son émotion. Tu peux aussi, prends, prends celles que tu veux, ne sois pas bête. Je vous le répète à tous, je te le redis : on part les poches vides, je n’emporterai rien avec moi.
Proposer à ses enfants telle ou telle photo, qu’ils les récupèrent pour ne pas qu’elles se perdent. Les dégager de la logique formelle d’un simple héritage. Les donner de main en main, pour la douceur d’en parler une dernière fois. Et puis on ne sait jamais, c’est sans valeur matérielle, qui fera attention après ? Maman me tend en insistant des photos de mon père et d’elle : fiançailles, mariage, soirées et longues tablées familiales… ces moments d’eux, avant moi. Autant que ce soit toi, j’aime les savoir avec toi.
Superstition ou pudeur ? Je retarde le moment de récupérer les photos qu’elle me propose. Sans lui donner les vraies raisons. Je ne lui dis pas que j’aime surtout m’y attarder avec elle. Près d’elle. Ne lui dis pas le bonheur éprouvé dans la proximité de nos joues. Comme si par ces rituels ordinaires des fils mystérieux nous soudaient l’une à l’autre. Sortir délicatement les photos de leurs cases (ce bruit de plastique fin). Tenir de nos mains les coins écornés. Souligner l’évidence. Tu le reconnais, lui ? Tu es bien dans cette photo, tu avais bien maigri ! Tu te souviens d’elle ? Nous émerveiller comme première fois. Mêmes albums depuis des années, s’extasier à les redécouvrir. Les feuilleter comme jadis nos livres d’enfants, maman m’éveillant au monde par les images et couleurs qui défilaient sous ses doigts. Avec ces albums aux odeurs passées, tourner aujourd’hui d’autres pages, comme relire notre histoire au hasard des photos, leurs esquisses aléatoires. Rire d’un détail, s’émouvoir d’un autre. Commenter ces tranches de vie comme un film qui nous regarde de loin.
également paru dans ici Beyrouth :
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comme vent soulève arbres et âmes.
j’ai peur de mourir par inadvertance
mourir dans un instant distrait
dans un glissement facile
retourner vers eux, mes grands perdus
mourir sans réaliser (extrait)#LittéraTube #VidéoEcriture #poésie #écrire
micro journal 287-2022.10.31
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je vous aime d’amour palimpseste.
je vous aime entre les lignes
sur des pages qui radotent
vous retenir avec les mots, corps et silences
je vous dis, textes superposés, strates de gestes
palimpseste qui recouvre mes morts, mes pertes
je vous écris comme survie
j’aime par détour, votre réserve le permet (extrait)#LittéraTube #VidéoEcriture #poésie #écrire
micro journal 286-2022.10.23
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Retour au pays comme retour en enfance
Tu viens de quitter mais la question te précède. Penses-tu revenir un jour, revenir pour de bon ? Elle te suivra dans l’exil, te poursuivra, comme si ta vie à l’étranger était vacances ou caprice puéril. Parenthèses à la seule « vraie » vie possible, la vie au pays. Les études à la Sorbonne, la culture à assimiler en te coltinant le quotidien, ton acharnement à dompter ton accent, cet accent qui te désignait au premier souffle (l’as-tu réellement perdu ?). L’ardu chemin vers la naturalisation et le sentiment de sécurité depuis. Les difficultés et les joies… ce tout d’une existence impossible à résumer serait comme jeu et, comme tel, jugé éphémère. Alors, quand se terminera la partie, quand reviendras-tu ?
Quand reviendras-tu ? Pourquoi es-tu partie ? Leurs questions comme mains te retiennent. Justifier ton départ, répondre du retour : mouvements alternés comme trajets de train ou d’avion. Ils pourraient être connectés, s’opposer. Mais les raisons du départ ne sont plus que jalons du passé, ne font pas contrepoint : changement de paradigme. Les chemins du retour sont labyrinthes, et nos places, points qui relient et séparent à la fois. Les lignes de fuite ne sont pas linéaires.
Tu pourrais le conjuguer, vous êtes tous concernés. Je rentre, ils rentrent et vous ? Tu les écoutes rêver de retraite au Liban, supporter l’exil avec ce seul horizon comme mirage : leur terre. Le lien qui les unit est histoire d’amour, cette patrie, comme Pénélope aurait toujours attendu leur retour, tissant ses drames, ses humeurs. D’autres reviennent avant, comme enfants prodigues, émus de trouver accueil, généreux et absolu accueil, dans les bras de leur famille, eux qui avaient pensé l’étranger comme meilleure alternative, traitres d’avoir tourné le dos à ceux qui les reprennent maintenant dans leur giron.
Le retour au pays comme retour en enfance. On ne rêve pas un lieu mais un temps perdu, la jeunesse. Ce passé, tissu de liens merveilleux. Malgré la guerre et ses atrocités, ce temps qui faisait sort, destin commun dans le malheur et surtout dans l’indéfectible espoir. Et il te semble souvent retourner à ce même endroit de ton histoire, l’année de ton exil, comme s’il fallait rétablir, continuer le récit abandonné ce jour-là. Ta vie en suspens, dans cette attente.
Oui, tu as toujours retrouvé Beyrouth, les klaxons de ses rues, son agitation langoureuse. Tu reviens sans cesse, te cogner à tes origines. Tu vas encore au Liban ? te demandent les amis français. Mais tu n’aurais pas envie de t’aventurer ailleurs, de faire un vrai voyage quoi ? Tu restes évasive, comme s’il s’agissait d’un secret de famille. Ce ne sont pas des vacances, mais un entêtement, une dette. Avec le fou sentiment à tout séjour d’être, en terre familière comme étrangère, terre inconnue mais jamais quittée. Les paradoxes du Liban perpétués dans vos rendez-vous. Combien de fois par an ? Tu retournes, retournes, maladroite derviche gravitant autour du point de séparation originelle. Et cet excès semble démentir le retour : toi qui ne cesses de revenir ne reviendrais jamais « pour de vrai ».
Puis tu te demandes. Rentrer pour qui. Pour quoi. Pour le taboulé ? Pour la manouché ? Labneh ? Mezzé ? Tu t’amuses avec des raisons saugrenues, comme de revenir pour la cuisine, toi qui ne manges libanais qu’au Liban, comme si les plats étaient faussement libanais ailleurs, folklore sans le sol sous tes pieds, le soleil dans tes yeux, montagne ou mer dans le dos.
Pour les odeurs, pour les bruits ? Pour le désordre magique du quotidien, le grain de folie ordinaire qui crée déroute et charme. Ce besoin viscéral de donner sa part au hasard, à la fantaisie, l’audace. Pour le bonheur de parler ta langue maternelle, de l’agrémenter de mots français et anglais, de les entendre rire de tes maladresses en libanais (vertigineuse impression de redevenir petite). Pour le plaisir de chanter Fayrouz à voix haute, sans te soucier de bien chanter, surprise de te souvenir encore des paroles. De fredonner les comptines de ton enfance contre l’épaule de ta mère, renifler sa peau, l’embrasser sans raison. Te bercer de la musique de l’accent de chez vous, si doux à ton oreille, cet accent que tu as renié.
Revenir ainsi pour la beauté du lien, pour l’attachement fondamental aux parents, la générosité des bras, la simplicité du plaisir. Perpétuer les retours malgré le temps, les deuils. Quand les vraies raisons sont rompues, nous laissant errer dans des maisons familiales désormais vides (n’a-t-on pas perdu nos aimés, et avec eux tout désir de retour ?)
Persévérer, rentrer pour comprendre les signes de filiation, saisir les traits qui vous rapprochent entre compatriotes, comme l’on traque ressemblances et transmission dans une famille. Vérifier les erreurs collectives de français même quand il est très bien parlé, comme geste d’appropriation linguistique. Le français de chez vous.
Revenir converser avec ton identité, vos différences, les points communs : où situer le curseur de tes origines ? Toi l’exilée, comment assimiles-tu les valeurs croisées de tes deux patries ? Qu’as-tu conservé en partage, quel Liban vit encore en toi ? Viens-tu en analysant analysée ? Écrire ton appartenance, cet ancien monde qui perdure, palimpseste de doutes et de certitudes identitaires. Tu n’appartiens pas plus à la France qu’au Liban. Tu quittes, tu reviens.
Et tu réalises que l’histoire de tes retours se calque sur la grande Histoire. Tu respires au rythme de cette même Histoire que tu as fuie, te cales à son pouls. En temps de guerres et conflits par exemple. Comme le pays, tu es immobilisée dans ton mouvement vers : tu annules tes voyages. Leurs jugements contradictoires : tu as fait le bon choix en quittant jeune//traîtresse d’habiter confortablement ton occident. Ta réponse est mantra informulé : en quoi je mériterais mieux qu’eux ?
À l’Histoire actuelle. Votre tragédie commune, tu t’accordes à son chant. Revenir pour vivre en condensé les coupures d’électricité, les supermarchés vides, la violence ordinaire du manque, l’aberration d’une monnaie déchue, l’impossible logique bancaire, le départ de nos jeunes, la pénurie en tout sens, jusqu’aux médicaments dans un pays fier de sa médecine depuis toujours. Rentrer pour vivre ça aussi, dans une solidarité instinctive, tribale, même si « vivre » n’est plus de mise. Mais s’émerveiller de l’étonnante vitalité, de la dignité à tenir tête haute malgré tout.
« Quand reviendras-tu » suppose que tu sois partie. Quel morceau de toi a quitté ce jour-là ; lequel serait resté fidèle, planté. Ton ombre à côté d’eux toujours, leur visage à portée de doigts. Fantôme vivant, hantant leur monde à force d’en être hantée. J’appartiens, je suis possédée.
également paru dans ici Beyrouth :
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des nuits de mains rapprochées par la peur.
je lui parlerai du recueillement derrière les murs
comme s’il suffisait de faire masse pour éloigner les bombes
avec nos corps fervents, enfants comme adultes
lui dirai le doux bonheur de se sentir appartenir
fidélité tribale qui vous colle à vie
n’a-t-on pas prêté serment à notre insu,
dans des nuits de mains rapprochées par la peur, de doigts noués (extrait)#LittéraTube #Liban #poésie
micro journal 284-2022.10.05
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j’ai des yeux de voix perdues.
vivre comme s’entête le végétal
ma part d’herbe ou de racines
tête basse de larmes je m’obstine
écoute rouler pêle-mêle d’anciennes images
désordre d’envies entre les mâchoires (extrait)#LittéraTube #VidéoEcriture #poésie #écrire
micro journal 285-2022.10.08
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des nuits de mains rapprochées par la peur.
je lui parlerai du recueillement derrière les murs
comme s’il suffisait de faire masse pour éloigner les bombes
avec nos corps fervents, enfants comme adultes
lui dirai le doux bonheur de se sentir appartenir
fidélité tribale qui vous colle à vie
n’a-t-on pas prêté serment à notre insu,
dans des nuits de mains rapprochées par la peur, de doigts noués (extrait)#LittéraTube #VidéoEcriture #poésie #écrire
micro journal 284-2022.10.05
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votre silence gante ma bouche.
vous le savez
votre langue fourche quand vous êtes ému
le passé déborde
vous crispez les mots
le pied bat, farouche solitaire
votre œil de côté
toute rencontre est risque
je vous aime d’amour désuet (extrait)#LittéraTube #VidéoEcriture #poésie #écrire
micro journal 283-2022.09.25
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j’ai appris à parler sur tes lèvres maman.
J’ai appris à aimer contre ta peau, d’amour incarné. Il y a peu de temps encore, tu me caressais les joues ; ta main, peau de mon visage maintenant, empreinte comme avant et à vie.
Ton crédo, c’est fait avec amour. Ton mystère, que tout geste soit portée d’amour, hacher le persil du taboulé, essuyer la poussière d’un meuble ou arroser tes plantes, transformant simple balcon en luxuriante forêt, lumineuse parmi les klaxons de la ville.
C’est fait avec amour, tu m’as appris que tout acte de création n’est que vaine reproduction s’il lui manque une part de nous, le risque de soi. Que créer commence dans la matière, sublimer le banal, le quotidien. De mouvements nobles et humbles, habiter la vie.
S’il fallait définir l’amour, je parlerais de ton naturel à sacraliser l’ordinaire, à investir d’une même vitalité tous les aspects de la vie, dans un geste qui élève au lieu de juger. Le sacré comme amour, ton amour en parole et actions, ton grand « oui » aux paradoxes de la vie.
J’ai appris à parler sur tes lèvres, à chercher le sens. À nuancer, à chanter faux aussi mais juste cœur et plein corps de cette joie que je trouvais dans ton rire, dans ton courage, fort et doux. Vivre les épreuves comme des occasions pour avancer meilleurs. Se dresser, foncer avec audace. Écrire est devenu mon geste, je te le dois. Je n’ai pas cessé de t’écrire. T’écrire encore aujourd’hui pour tenir ta main, te bercer de voix dans les nuits que je ne connais pas. T’écrire, poursuivre la conversation de toujours, revoir tes yeux écouter avec ce gai sérieux que tu mets en tout acte.
Tu m’as appris, sois humaine surtout. Tu m’as appris en étant toi. Ta discrète générosité, mais surtout plus puissant don de soi. Il y a quelque temps encore tu me disais être ton soutien, ton socle alors que tu m’es terre qui permet de tenir debout, terre et sa gravité, l’assurance de l’accueil à chaque retour.
Aujourd’hui tu m’apprends la douleur absolue, l’au-delà des larmes. Je ne connais pas de bras comme les tiens, larges, sans limites. Tes bras contenants, douceur qui enveloppe. Seule toi peux me consoler de ta perte, comment faire sans ton corps en vie, ta protection joueuse ? Seuls tes bras me consoleraient de ton départ, ton étreinte manque.
Survivre à ton absence ? Tu me l’as fait promettre. Avec courage et joie, tu as dit. Si tu m’aimes, tu as ajouté. Je survis oui je te l’ai promis, vivre est une autre histoire.
Partout l’implacable membre fantôme. Comme ce réflexe idiot que j’ai encore de regarder le balcon de la rue, te chercher toi au balcon, guetter tes signes : bénédiction, discrète plaisanterie ou au revoir… Ton visage au-dessus de la rambarde blanche, tes boucles brunes et la bouche qui sourit ou se referme quand je repars en France. J’ai toujours ce regard vers toi, entre les plantes de ta jungle citadine. Ce dernier geste que je rends avec ma main qui se lève penaude de te quitter, mon élan de pudique amour.
Je ne sais pas compter ce temps, ce hiatus où je réajuste : tu n’es pas au balcon, tu ne peux pas, ne le sera plus jamais. Ni temps ni lieu, ce tremblement entre l’avant et le présent. Tu ne m’attendras plus, ne me feras plus ce signe qui crée le départ et sa dimension dramatique. Tu ne te tiendras plus sur ce vertigineux seuil qu’est le balcon, tu ne me signifieras plus ta présence ni mes départs, je ne te quitterai plus.
Tu disais, on n’emporte rien avec soi, on part vidé, vide. Que dire de cette part de moi emportée avec toi. Tu ne pars pas vide maman mais pleine de l’amour que tu as toujours donné.
Tu ne seras jamais seule, merveilleuse mère. Tu peux te taire comme l’absolu est sans mot humain, tu te tais mais je t’entends toujours, me tiens contre ta voix odorante, bavarde de passé doux.
On parlera encore, on chantera, on sera, oui, cet amour sans mesure. Des réveils avec en bouche nos refrains, tous les matins, des paroles aussi simples qui me permettent de dire sans l’écrire, sans la charge et les détours des images, mon amour pour toi. Simple comme nos comptines d’enfance, ses bercements.
Seule toi pour me consoler, comment faire sans ton regard, tes gestes, ton humour. Ta vitalité n’a pas quitté notre monde, elle me permet de poursuivre sans et avec. Tu es à chaque instant dans mes paupières. Toi, ce que je vois de plus près ; maman, je suis ton astigmate. Tu me disais, toi et moi ongles et peau, ne se détachent pas ; tu poursuis cette présence qui ne s’agrippe pas. Parce que tu as ce don de t’ajuster à l’autre mais sans perdre ta singularité, la grâce d’être avec, mais sans t’égarer, sans te quitter.
Te laisser me quitter. Comment t’écrire pour que ton chemin nouveau soit paix. Comment t’écrire pour ces 40 jours quand je n’ai pas cessé de t’écrire depuis toujours.
« Tu me manques » tu me disais en souriant. Je t’aime, ah que je t’aime, te l’égrener tous les jours comme pour tapisser ton éternité de mon amour. « Je t’aime », je ne savais plus dire que ça, te le répétais comme mantra d’enfant. Tendre toi.
Il y a peu de temps, tu m’as répondu, tu as dit « merci », à peine audible. Mon frère me l’a répété, « tu n’as pas entendu, mais elle t’a dit merci »
Merci d’être aimée ? Quel merci à la hauteur de ce que tu m’as donné et qui se perpétue.
également paru dans ici Beyrouth :
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Au service
Joie d’avoir participé à cet ouvrage collectif, sur une proposition de François Bon
Merci François pour cette dynamique, merci aux contributeurs et à la vitalité de Tiers Livres
pour vous procurer l’ouvrage -
je hais comme peau froissée à vie.
la vie est obscène qui frappe tous sens
on n’échappe pas
humains
vulnérables
je boude le monde, exposée
reprends mes têtes d’enfant
je nous détruirais dynamite
de parole
mots et corps bercés d’ombres
tout de moi prêche la haine (extrait)#LittéraTube #VidéoEcriture #poésie #écrire
micro journal 282-2022.09.04
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seuls ses bras.
je dis chagrin pour rester son enfant
me faire souffrance d’enfant,
parler de chagrin, ce mot qui minimise,
je le gonflerai de cailloux
le ferai sentier, retour vers ses bras (extrait)#LittéraTube #VidéoEcriture #poésie #écrire
micro journal 281-2022.08.28
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on sera discrétion des mers.
on sera discrétion des mers
basses larmes des montagnes
on sera désordre d’ombres
sans soleil qui porte
on sera le silence
arrêté au seuil des jours cassés
on vivra l’absence (extrait)réalisée dans la cadre des vases communicants
Images : Caroline Diaz – Texte et voix : Gracia Bejjani#LittéraTube #VidéoEcriture #poésie #écrire #vasescommunicants
micro journal 280-2022.08.10
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fureur d’humains.
on tiendra
comme l’arbre s’accroche au mouvement
on sera ce tronc creux, coriace
puissante gravité sans racine
on apprendra à crisper les dents
sans se briser la bouche
nos langues brutales se tairont (extrait)#LittéraTube #VidéoEcriture #poésie #écrire
micro journal 279-2022.07.27
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tu retardes la claque du réel.
Tu n’oses pas bouger tes bras. Pas glisser, marcher dans les rues, ni toucher les murs d’une paume froissée. N’espère pas. Ne crois pas aux mots. Tu ne peux pas te fatiguer, bonne ou lourde fatigue, ni te brûler la langue ou te plaindre d’un nez bouché. Comment écrire, dire, t’effrayer. (extrait)
Merci aux street-artistes, aux peintres, à Thelonious Monk (Blue Monk©), aux rues, leurs rencontres
#LittéraTube #VidéoEcriture #poésie #écrire
micro journal 278-2022.07.24