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  • zankha.

    J’ai toujours vu ma mère porter verres, assiettes, poêles près de son nez et vérifier. Les humer attentivement à plusieurs endroits. J’entends encore ce bruit saccadé de petit vent reniflé. Vu le haut de son crâne se pencher, ses cheveux bouclés comme animés par ses mots : j’ai l’impression que ça sent encore. Me tendre ensuite tasses, plats, couverts… attendant que je la rassure : ça va, ça ne sent plus l’œuf. Ma mère et ma grand-mère. Et les tantes, les voisines. Je les ai toujours vu vérifier les odeurs après la vaisselle. J’ai appris. Commencer par un rinçage à l’eau froide (l’eau chaude, j’ai appris, fixe les odeurs), ne pas frotter trop fort, puis bien savonner. Caresser la surface lavée lissée de l’assiette, comme pour réconforter sa peau. Ou la remercier du service rendu. Puis à nouveau renifler pour être certaine. Relaver à deux reprises pour ôter le moindre doute. L’eau de Javel parfois, comme recours ultime, assurance radicale de propreté. Aérer, toujours.

    Comme maman, sa mère, les tantes, les voisines… je me suis longtemps défiée de l’odeur des œufs. Elle a sa désignation, Zankha. C’est également l’odeur du poulet cru, du bœuf avant la cuisson, l’âcreté du poisson… Et le même rituel à chaque lavage. Des odeurs animales fortes, celle des œufs est plus insidieuse. Mais tout aussi tenace, désagréable. Au Liban et depuis mon enfance. J’ai regardé et intégré cette méfiance, envers l’œuf surtout.

    Un jour, je suis arrivée en France. Surprise par l’indifférence des amis face à la zankha. Il me semble que l’assiette garde une odeur d’œuf non ? Prendre sans le vouloir la voix maternelle, l’inquiétude familière de ma mère. L’étonnement des autres devant ma question. Et les réponses unanimes ici : la viande, le poisson, je veux bien, mais les œufs ? Un œuf, ça ne sent rien, à moins qu’il ne soit pourri. J’ai fini par abandonner le réflexe de confirmer auprès d’eux, j’ai conservé le sentiment d’une obsession qui résiste. Singulière. Comme coupée de leur réel.

    Un jour, j’ai cessé de sentir l’œuf sur la vaisselle. J’ouvrais désormais le frigo sans rien remarquer. Aucune alerte, aucun geste de vérification. Comme de ne plus percevoir une couleur. Affronter un silence olfactif qui aurait terrifié maman. J’ai compris avoir assimilé la France. C’est comme l’âge qui nous vient sans progression, un jour on se sait vieilli sans l’avoir vu arriver. J’ignore comment j’ai perdu cette perception. Je ne me suis pas vue renoncer à ces actions de contrôle. Les viandes animales ont gardé leur marque olfactive, les œufs sont devenus comme inoffensifs, neutres. Et cette perte de vigilance, c’est comme d’avoir égaré un pan de langue maternelle qui me reliait à nous. Je vérifie autrement, teste auprès d’amies restées au Liban, restées fidèles à ce sens particulier : l’œuf cru pue, même frais. Ça tombe, l’écho catégorique du passé qui perdure sur place.

    Aujourd’hui cette odeur s’agrippe à un mot. Une texture. Zankha. Un mot sans besoin d’adjectif. Sa sonorité musculaire, ses syllabes accrochent les souvenirs. Pour ne pas perdre cette odeur, pour ne pas me perdre dans son absence, il me faut la fixer autrement. Et comme tous mots, sa présence est saveur en bouche. Je ne la sens pas, mais elle est incorporée. Dans ma salive peut-être, sous ma peau, dans la rime du geste de ma mère. Zankha, il me suffit de désigner et la parole déroulera la suite. Ce mot manquant à d’autres langues, ce mot sans équivalent, est le réel qu’il me permet de toucher. Je ne me souviens pas de l’odeur, mais des corps autour. Et de l’importance des odeurs dans les cuisines libanaises. J’ai ainsi appris ; lire la date de péremption avec le nez. Un pot de labneh ouvert : renifle et tu sauras s’il a tourné ou si tu peux en manger.

    Je revois ma mère, doigts aux ongles vernis, ses doigts délicats et travailleurs pinçant ses narines. L’odeur s’est incrustée, c’est terrible. Sa voix aujourd’hui encore, le froncement de ses sourcils. La puissance d’une odeur. Aujourd’hui cette odeur s’est changée en mémoire. En tristesse. À travers ce manque, ma mère aussi.

  • langue dupe et ta grimace.

    arrêt
    le mot se tient comme un miroir
    surface polie, avare
    un mot debout
    juste et précis, on s’en félicite
    mais il ne dit pas
    ta voix, un son — quand tu dis
    on arrête (extrait)

    littéraTube​​ #VidéoEcriture​​ #poésie​​

    micro journal 431-2025.04.06

  • d’autres voix entre les mains.

    visites fantômes parfois
    traits de travers ou courbes
    la pointe s’emporte — on suit
    rondes de visage inattendus
    la joie des débuts
    des maladresses (extrait)

    littéraTube​​ #VidéoEcriture​​ #poésie​​

    micro journal 430-2025.03.24

  • sculpter le vide.

    En sélection officielle au festival de la Cinémathèque de Nouvelle-Aquitaine, dans le cadre du défi Reboot organisé par la CNDA (projection le 15 mars 2025)

    littéraTube #VidéoEcriture #poésie #archives

  • mains comme ciseaux.

    ici on se prive d’écriture
    langue durcie comme écorce
    on divague la possibilité des phrases
    on se méfie des hypothèses
    les mains comme ciseaux
    leur acharnement
    et l’instant où ça renonce (extrait)

    littéraTube​​ #VidéoEcriture​​ #poésie​​

    micro journal 429-2025.03.06

  • la voix — plus intime que corps.

    laisse-moi t’approcher
    t’approcher maintenant
    maintenant que sans corps
    te traverser de mots
    ma voix par morceaux
    j’ai perdu peau et ombre
    bras, pieds tombés (extrait)

    littéraTube​​ #VidéoEcriture​​ #poésie​​

    micro journal 428-2025.02.23

  • parfois la terre se tait.

    𝑡𝑒𝑟𝑟𝑒
    𝑞𝑢𝑒𝑙𝑞𝑢𝑒 𝑐ℎ𝑜𝑠𝑒 𝑑𝑒 𝑝𝑙𝑢𝑠 𝑎𝑛𝑐𝑖𝑒𝑛 𝑞𝑢𝑒 𝑙𝑎 𝑚𝑎𝑟𝑐ℎ𝑒

    plus petite ; je goûtais la terre
    j’apprenais à cracher, séparer
    dévorer et sourire

    je pouvais alors oui je pouvais pieds nus
    sentir s’enfoncer peau os muscles
    perdre souliers
    mes pieds comme semelles molles

    𝑙𝑎 𝑡𝑒𝑟𝑟𝑒 — 𝑐𝑒𝑐𝑖 𝑞𝑢𝑖 𝑒́𝑐ℎ𝑎𝑝𝑝𝑒 𝑎̀ 𝑙’ℎ𝑜𝑟𝑖𝑧𝑜𝑛 (extrait)
    ————-
    𝐈𝐦𝐚𝐠𝐞𝐬 𝐟𝐢𝐥𝐦𝐞́𝐞𝐬 𝐢𝐥 𝐲 𝐚 𝐪𝐮𝐞𝐥𝐪𝐮𝐞𝐬 𝐚𝐧𝐧𝐞́𝐞𝐬 𝐚𝐮 𝐋𝐢𝐛𝐚𝐧

    littéraTube​​ #VidéoEcriture​​ #poésie​​

    micro journal 427-2025.02.16

  • sa paume comme terre.

    contre elle
    elle le tient
    le tient aussi par la nuque
    sa paume comme terre, douce et ferme
    déterminée — il grandira
    dira sa langue, aimera

    l’autre main, dans son dos d’enfant
    éventail de tendresse
    son chant suspendu
    lui, joues endormies (extrait)

    littéraTube​​ #VidéoEcriture​​ #poésie​​

    micro journal 426-2025.02.09

  • même patience de bras ouverts.

    son journal — après elle
    elle l’aurait écrit en arabe
    quelques mots de français
    là où sa langue manquait
    elle se serait appliquée
    pour la beauté du rythme
    main et feuille (extrait)

    𝐼𝑚𝑎𝑔𝑒𝑠 𝑓𝑖𝑙𝑚𝑒́𝑒𝑠 𝑖𝑙 𝑦 𝑎 𝑞𝑢𝑒𝑙𝑞𝑢𝑒𝑠 𝑎𝑛𝑛𝑒́𝑒𝑠 𝑎𝑢 𝐿𝑖𝑏𝑎𝑛.

    littéraTube​​ #VidéoEcriture​​ #poésie​​

    micro journal 425-2025.02.02

  • j’ai vu mon corps rocheux.

    𝐼𝑚𝑎𝑔𝑒𝑠 𝑓𝑖𝑙𝑚𝑒́𝑒𝑠 𝑖𝑙 𝑦 𝑎 𝑞𝑢𝑒𝑙𝑞𝑢𝑒𝑠 𝑎𝑛𝑛𝑒́𝑒𝑠 𝑎𝑢 𝐿𝑖𝑏𝑎𝑛 : 𝑚𝑜𝑛 𝑎𝑚𝑖𝑒 𝐶𝑎𝑟𝑙𝑎 𝑎𝑖𝑑𝑒 𝑙𝑒𝑠 𝑐ℎ𝑎𝑡𝑡𝑒𝑠 𝑒𝑟𝑟𝑎𝑛𝑡𝑒𝑠 𝑎̀ 𝑎𝑐𝑐𝑜𝑢𝑐ℎ𝑒𝑟 (𝑐ℎ𝑒𝑧 𝑒𝑙𝑙𝑒) 𝑒𝑡 𝑎̀ 𝑝𝑟𝑒́𝑝𝑎𝑟𝑒𝑟 𝑙𝑒𝑢𝑟𝑠 𝑝𝑒𝑡𝑖𝑡𝑠 𝑎̀ 𝑝𝑎𝑟𝑡𝑖𝑟 𝑢𝑛 𝑗𝑜𝑢𝑟.

    j’ai entendu rire mon corps
    de mes efforts à le dresser
    ni debout ni devant
    bouger lui suffit
    et moi m’agite
    oublie mes orteils

    je l’ai entendu vivre d’instinct
    aux dépens de mes mots
    chanter ma voix — l’inhumaine (extrait)

    littéraTube​​ #VidéoEcriture​​ #poésie​​

    micro journal 424-2025.01.24

  • peut-être juste assis.

    corps atrophié
    tout est lenteur, défi
    — tasse, bras, fourchette…
    on porte des gestes
    comme syntaxe décomposée
    rien n’est à sa place
    corps dérouté
    comme avoir été longtemps secoué
    puis posé à terre sans l’ordre d’avant (extraits)

    littéraTube​​ #VidéoEcriture​​ #poésie​​

    micro journal 423-2025.01.17

  • autofictiographie #13, je cherche tes doigts.

    quand je pense écriture
    haut-le-cœur

    vivre ce chagrin pour comprendre
    tristesse ne s’oppose à la joie (extraits)

    littéraTube​​ #VidéoEcriture​​ #poésie​​

    micro journal 422-2025.01.09

  • de leurs mots, fais-toi silence.

    peau monde s’éveille
    j’ai oublié la joie
    vent et visage

    ni l’avant
    ni l’après
    ce présent suspendu (extraits)

    texte, vidéo et voix :
    gracia bejjani

    création musicale :
    sophia alexandrou
    https://fr.sofiaalexandrou.com/

    littéraTube​​ #VidéoEcriture​​ #poésie​​ #musique

    micro journal 421-2025.01.01

  • que dit le corps.

    J’ai tendance à déformer les expressions, en français comme en libanais parlé. Comme si je ne pouvais les entendre figées, mais toujours en prise avec leur sens littéral. À l’origine de cette série, l’envie de faire vivre ces hiatus.
    Il s’agira de prendre les expressions au pied de la lettre, de saisir la voix du quotidien dans sa forme la plus brute. Sorte de poésie collective, transmise et assimilée comme un héritage. Écouter la langue maternelle, redécouvrir ses images, comme un enfant les premières fois. L’entendre, la voir, la traduire, la transposer.
    Ici la parole passe par le corps. Suivront ensuite les expressions liées à la nourriture, au langage des gestes, puis les expressions inclassables, pour le plaisir de mélanger les registres.

    littéraTube​​ #VidéoEcriture​​ #langue​​

    micro journal 420-2024.12.29

  • quand voir s’écoute.

  • elle la presque danseuse.

    quand une main — surgie brusque
    comme étau à l’avant-bras
    main d’une autre douce (extrait)

    littéraTube​​ #VidéoEcriture​​ #poésie​​

    micro journal 419-2024.12.21

  • mains comme rencontres manquées.

    il traine plus de visages
    que d’humains
    quand ils se font grottes
    que tout cri glisse aux lèvres
    on dirait
    la démesure d’un sourire
    son entêtement
    sourire comme prière lancée aux yeux
    à l’illusion, on préfère
    la distraction des paysages (extrait)

    littéraTube​​ #VidéoEcriture​​ #poésie​​

    micro journal 418-2024.12.15

  • diable douleur.

    pardon de souffrir…
    elle s’excuse de souffrir
    comme l’on porte nos vies
    coupables imaginaires (extrait)

    littéraTube​​ #VidéoEcriture​​ #poésie​​

    micro journal 417-2024.11.30

  • parce que l’art, peut-être.

    𝗱𝗶𝗿𝗲 𝗟𝗶𝗯𝗮𝗻 𝗲𝘁 𝗴𝘂𝗲𝗿𝗿𝗲, 𝗮𝘃𝗲𝗰 𝗱𝗲𝘀 𝗽𝗵𝗼𝘁𝗼𝘀 𝗱𝗲 𝗣𝗮𝗿𝗶𝘀
    quel réel nous traverse
    quelle matière nous retient
    nos corps fossiles
    survivent parfois
    nos corps, mains de la terre
    héritage inscrit sur nos vertèbres
    vous y lirez notre chant
    un chant d’os et de joie

    𝑚𝘰𝑖 𝑗’𝑎𝘪𝑚𝘦 𝘭𝑎 𝑔𝘶𝑒𝘳𝑟𝘦
    𝑝𝘢𝑟𝘤𝑒 𝑞𝘶𝑒 𝑗’𝑎𝘪𝑚𝘦 𝘭𝑒𝘴 𝘢𝑣𝘪𝑜𝘯𝑠
    répond simplement le petit
    la question est convenue (extrait)

    #littéraTube​​ #VidéoEcriture​​ #poésie​​ #liban

    micro journal 416-2024.11.24

  • promets de revenir.

    où commence ta maison
    elle n’est ni pierres ni murs

    sommes-nous habitants des portes
    perdre nos maisons pour épargner la vie
    j’ai tôt compris
    petits, on quittait déjà
    sans comprendre, on quittait
    laissait derrière linge et peau
    comme d’avoir été — abandonnés (extrait)

    #littéraTube​​ #VidéoEcriture​​ #poésie​​ #liban

    micro journal 415-2024.11.17

  • entre bombes et gâteaux.

    𝙘̧𝙖 𝙛𝙖𝙞𝙩 𝙦𝙪𝙤𝙞, 𝙪𝙣 𝙗𝙧𝙪𝙞𝙩 𝙙𝙚 𝙙𝙧𝙤𝙣𝙚 𝙢𝙞𝙡𝙞𝙩𝙖𝙞𝙧𝙚 𝙚𝙣 𝙥𝙚𝙧𝙢𝙖𝙣𝙚𝙣𝙘𝙚 ? 𝙪𝙣𝙚 𝙥𝙧𝙚́𝙨𝙚𝙣𝙘𝙚, 𝙪𝙣𝙚 𝙨𝙪𝙧𝙫𝙚𝙞𝙡𝙡𝙖𝙣𝙘𝙚 𝙞𝙣𝙫𝙞𝙨𝙞𝙗𝙡𝙚 𝙨𝙤𝙣𝙤𝙧𝙚 𝙘𝙤𝙣𝙩𝙞𝙣𝙪𝙚 ? 𝙟𝙚 𝙣𝙚 𝙨𝙖𝙞𝙨 𝙥𝙖𝙨, 𝙟𝙚 𝙣𝙚 𝙨𝙪𝙞𝙨 𝙥𝙖𝙨 𝙖𝙪 𝙇𝙞𝙗𝙖𝙣 ; 𝙖𝙡𝙤𝙧𝙨 𝙟’𝙖𝙞 𝙚𝙨𝙨𝙖𝙮𝙚́ 𝙦𝙪𝙚𝙡𝙦𝙪𝙚𝙨 𝙢𝙞𝙣𝙪𝙩𝙚𝙨 𝙙𝙚 𝙗𝙖𝙩𝙩𝙚𝙪𝙧𝙨 𝙚́𝙡𝙚𝙘𝙩𝙧𝙞𝙦𝙪𝙚𝙨, 𝙣𝙚 𝙨𝙤𝙢𝙢𝙚𝙨-𝙣𝙤𝙪𝙨 𝙥𝙖𝙨 𝙧𝙚́𝙥𝙪𝙩𝙚́𝙨 𝙥𝙤𝙪𝙧 𝙣𝙤𝙩𝙧𝙚 𝙘𝙪𝙞𝙨𝙞𝙣𝙚 𝙖𝙪𝙨𝙨𝙞 ?

    …touiller entre bruits et odeurs
    sous la voix élégiaque de Fayrouz
    cuisine et drame sur Instagram
    les écrans alternent, des gâteaux montent
    des immeubles s’écroulent
    notre Dame du Liban — ses vocalises
    animent nos doigts — terrible hypnose
    l’enfance comme éternité
    l’éternité, c’est simple (extrait)

    𝘢𝘷𝘦𝘤 𝘶𝘯 𝘤𝘰𝘶𝘳𝘵 𝘦𝘹𝘵𝘳𝘢𝘪𝘵 𝘥’𝘶𝘯𝘦 𝘤𝘩𝘢𝘯𝘴𝘰𝘯 𝘥𝘦 𝘍𝘢𝘺𝘳𝘰𝘶𝘻 – 𝘞𝘢𝘵𝘢𝘯𝘪

    #littéraTube​​ #VidéoEcriture​​ #poésie​​ #liban

    micro journal 414-2024.11.11

  • ils me reviennent, ni visage ni voix.

    Leur rendre des comptes aujourd’hui. Comment parler aux revenants qui se souviennent ? Quelle réponse à leur dignité, leurs valeurs, leurs utopies… à ces esprits qui ont posé nos pierres, maintenant pulvérisées. Ils me reviennent. Ni visages ni voix ; leurs présences emmêlées comme un mouvement pluriel. Ils reviennent, invoqués pour un impossible pardon ; me tournent autour, bras corps pieds… troublante caresse des morts. Où accueillir ces âmes disparues, quand gravats et poussière ont remplacé les salons qu’ils ont bâtis, les chambres et leurs insomnies, les terrasses d’où l’on regardait se coucher le soleil, comme ici seulement il se couche. Entre permanence et singularité, chaque soir même et différent. Comment rendre des comptes aux chansons, à l’étreinte populaire de leur doux vertige — devenu désarroi.

    Ce n’est pas la maison de mon grand-père que je veux retenir de tomber, ses toilettes au fond du jardin, mes terreurs d’enfant la nuit. Et avoir appris à attendre le matin. Ce n’est pas la cuisine aux odeurs d’hospitalité, ni les meubles creusés de corps et de bruits, mais un lieu qui ferait domicile, espace pour nos revenants. Un foyer explosé n’est pas ruine ; c’est un massacre sans miséricorde. Fracassés, les plafonds qui ont couvé les premiers sourires. Brisées, les fenêtres qui ont tamisé d’anciens pleurs. Nous arborons des visages figés, stupéfaction de tous les matins. Remous de mots démunis, de photos parfois rescapées. Nos vies comme paysages sur ces clichés : nous ou nos ombres, nos faux rires, notre courage dérisoire… Obstination de nos souvenirs, histoires sur papier, comme légendes empruntées.

    Je regarde les écrans récapituler les nuits de mon pays. Les images du jour, comme intrigues macabres. Se pincer. L’horreur. L’inadmissible. Banalisé. Où sommes-nous. Peut-on encore espérer. Dupes de l’espoir, aliénés au déni. Nos prières ont le lyrisme des malentendus choisis. Quel fléau aujourd’hui. Combien. Quelles cibles, quelles routes. Les noms de ces villages, je les connais ? Adulte, j’apprends notre géographie par sa nécrologie. Combien d’éclipses définitives. M’agripper aux pierres, à la matière. Faut-il vivre une guerre pour entendre battre la pierre, animée, organique. Ressentir la vigueur de la terre dans ses soubresauts. Avoir connu le huis clos d’une guerre, pour éprouver l’instinct du territoire.

    À la vue des lieux dévastés, je comprends aujourd’hui que le Temps lui aussi est saccagé. Et le réel, tranché. L’humain, viscéralement trahi. Le carnage ne serait plus sacrilège ? Baalbek, Tyr, Saïda… On sauvera peut-être ces monstres sacrés mais les villages ravagés… Les quartiers démantelés. Et le bruit des ossements sans peau. La dissonance comme chant désormais. Et sans Temps, nous perdons nos aubes, nos voix, nos créations. Je ne pleure pas seulement le patrimoine national. Le patrimoine est dans les plus humbles maisons. Dans les odeurs des plats aujourd’hui brûlés, recrachés à nos visages.

    Réduire au néant des demeures centenaires : une seconde suffit. Ça va vite nous le savons, puisqu’il faut se dépêcher dès l’annonce des tirs prévus. Contraints à l’abandon précipité. Nous quittons sans nos vies, pour sauver nos vies ; le corps à peine nous suit. Familles qui s’effondrent lorsqu’éclate leur habitat. Nous devenons ainsi nomades mais sans traces ni lignes, périple morcelé. Nous tenons entre nos mains, débris et récits. Nos existences semblent suspectes, les avons-nous seulement vécues ? Faut-il que la guerre m’impose la nostalgie ? J’y ai résisté en exil ; que dire de l’exode forcé de ces âmes arrachées à leur bout de sol — modeste mais qui permettait à nos aïeux de se dresser debout, ancrés de verticalité.
    Écrire mon pays malgré l’effacement de son Histoire, quand je suis témoin de si peu. Et de trop. Le temps étroit, réduit à un monde qui tiendrait dans une paume de petite fille. Jeddo, mon dernier paysan à labourer et nourrir une terre aujourd’hui enténébrée de béton chuté, carbonisée sous des feux sans soleil. Jdoudna. Ils me reviennent. Que dire à leurs regards amples, bâtisseurs de visions pour nous, piètres héritiers ? Il nous incombe d’emporter nos morts partout, les préserver des errances fantômes. En nous, comme on incorpore la langue maternelle, les rêves, les pensées et nos mots intimes. Mais comment sans lieu, où les retrouver ? Nous ne serons plus auprès d’eux conviés. Nous les emporterons, comme on ramène du zaatar ou du kechék. Les emporterons sans pouvoir les rencontrer. Dans une rue de Paris, garderont-ils leur accent, la joie qui leur vient si facilement ?


    Et nos enfants, « futur » toujours sacralisé ? Je ne pense pas avenir. Éduquée pourtant à regarder en avant, à poursuivre sans m’attarder, à ne pas me retarder… Je ne pense pas aux enfants. Nos enfants ont la ténacité en héritage, notre détermination folle — littéralement folle. Et la puissance de nos haleines sauvages. Ils feront avec ce legs, répareront à leur manière ; mieux que nous.
    Mes aïeux me reviennent. Ni visages ni voix. Je pense à l’agonie. Le passé jusqu’alors comptait peu à mes yeux. Mais c’était avant. Je m’agenouille devant l’absence, sans pardon possible : de quoi serais-je coupable ? L’improbable absolution de ma parole naïve, emportée, incertaine.
    J’ai aujourd’hui honte de ce massacre, honte à leur égard, nos grands-parents puisque c’est ainsi qu’on nomme les ancêtres en libanais : jdoudna. La tendresse de ce mot, l’intégrité — le respect quand le respect est aimant. Honte de toucher l’immonde, l’incroyable, l’absurde absolu. Honte pour eux qui exterminent en toute impunité, sans humanité dans les yeux. J’assiste à l’irréparable. L’Histoire rasée, le pas vers des gouffres pires que la mort. J’interroge mon pays encadré sur des écrans. Ma cruelle impuissance. Une chanson me vient, me rappelle au devoir : tenir, survivre. Marcel Khalifé chante. Et j’aime ma vie, parce que si je meurs, j’aurais honte des larmes de ma mère.
    Comment retenir le Liban, le porter à bout de bras. Empêcher sa mort et nous épargner la honte des larmes des aïeux. Ya jdoudna, semhouna*.

    *semhouna : pardonnez-nous.

    Le couple de la photo : inconnus rencontrés dans un village dans le temps

    également paru dans ici Beyrouth :

  • ils me reviennent (extrait filmé).

    quand je suis témoin de si peu
    et de trop
    le temps étroit
    réduit à un monde qui tiendrait
    dans une paume de petite fille
    (le texte de la vidéo est un extrait
    d’un texte plus complet, à venir ici)

    extrait filmé, le texte complet est ici :
    https://graciabejjani.fr/2024/11/06/ils-me-reviennent-ni-visage-ni-voix/

    chanson de Marcel Khalifé – Oummi (extrait)

    #littéraTube​​ #VidéoEcriture​​ #poésie​​ #liban

    micro journal 413-2024.11.03

  • incertaine entre deux pieds.

    Parfois, elle devient chose,
    l’étrangeté d’un objet —
    personne.
    Isolée. (extrait)

    #LittéraTube​​ #VidéoEcriture​​ #poésie​​

    micro journal 412-2024.10.30

  • étreinte collatérale.

    …sur son chemin, ton trajet
    ils viseront lui
    tu n’es pas leur cible
    tu passeras là, hors sujet
    tu cesseras d’aimer le hasard
    tu ne te diras pas comme lui, martyr
    mais témoin tombé
    étreinte collatérale (extrait)

    #LittéraTube​​ #VidéoEcriture​​ #poésie​​ #Liban

    micro journal 411-2024.10.21

  • khallass.

    mes matins transcrivent leurs nuits
    comme trembler en décalé
    par bribes expulsées au visage
    comment de loin
    les journaux de là-bas sont précis
    les images bavent aux lèvres des écrans
    les vidéos donnent envie de fracasser les vitres
    tout feu n’est pas spectacle
    n’est pas artifice (extrait)

    #LittéraTube​​ #VidéoEcriture​​ #poésie​​ #Liban

    micro journal 410-2024.10.13

  • oser encore.

    c’est maintenant qu’il faut écrire, on me dit
    écrire sans main qui tienne
    sans corps à côté
    ni élan ni gourmandise ni attente
    l’étrange effacement des langues
    cette fois comme infraction — m’obliger à
    l’autre versant des mots
    contre la disparition, m’obstiner (extrait)

    #LittéraTube​​ #VidéoEcriture​​ #poésie​​ #Liban

    micro journal 409-2024.10.07

  • regarder pour contourner l’impensable (extrait filmé).

    Ils sourient, débattent. Dissertent du Liban, comme s’ils débattaient de leur propre intelligence, de leur savoir et non des images détruites qui s’obstinent derrière leurs corps assis. Je fixe les façades, mon pays mon pays, devoir me le répéter pour reconnaître le pays ; les guerres se ressemblent. Je regarde pour contourner l’impensable, accéder au réel. (extrait)

    extrait filmé, le texte complet est ici :
    https://graciabejjani.fr/2024/10/04/ces-quartiers-ont-perdu-la-ville/

    #LittéraTube​​ #VidéoEcriture​​ #poésie​​ #Liban

    micro journal 408-2024.10.05

  • regarder pour contourner l’impensable.

    Ils sourient, débattent. Immenses sourires, jubilation déroutante face aux massacres diffusés en arrière-plan. Ils discutent, argumentent et la fascination étire leurs lèvres. Pas un instant sans sourire. Ils dissertent du Liban, comme s’ils débattaient de leur propre intelligence, de leur savoir et non des images détruites qui s’obstinent derrière leurs corps assis. Je fixe les façades, mon pays mon pays, devoir me le répéter pour reconnaître le pays; les guerres se ressemblent. Je regarde pour contourner l’impensable, accéder au réel. Ils sourient, je ne les juge pas. Après tout, on rit bien devant qui tombe, gêne ou étrange empathie. Peut-être s’agit-il d’un réflexe du même ordre.

    Je recherche dans les images ce que je n’arrive pas à croire. Et un sentiment d’urgence: retourner au Liban. Être avec eux, vivre sur Terre, notre terre. En présence. Dans les rues, entre ces immeubles aux étages maintenant emmêlés. Aussi confus que mes pensées, que toute forme d’analyse déployée par ces voix expertes. Le réel, encore lui et sa puissance à contredire sens et direction. Il me faudrait marcher dans ces rues, retrouver pieds et bruits. Cacophonie des sols et des cieux lézardés. Entendre crisser les gravats, gémir le sol, comme si des âmes y étaient ensevelies, aujourd’hui par les passants piétinées. Il faudrait perdre l’équilibre sur une terre qui n’est plus homogène, se retenir de tomber à chaque instant d’asphalte éclaté. Il faudrait éprouver la fragilité des chevilles qui ne font pourtant que marcher, ce geste primaire du corps depuis qu’il tient debout. Je devrais respirer les débris singuliers du métal au béton mélangé, l’odeur de l’anéantissement. Avoir sur la langue le goût amer du soufre, de la poussière.

    Ces rues ont perdu leur quartier, les quartiers ont perdu la ville, la ville a perdu ses vivants. Le pays et nous. Perte à perte de vue, de vies. Le répéter pour me dégager de la sidération qui éloigne. Éviter de trop sourire lorsque les mots échouent à s’aligner. Éluder tout sourire qui ne dit pas l’hospitalité. Je revois d’autres visages, leurs sourires immédiats me reviennent. Sur les seuils de ces mêmes immeubles aujourd’hui indifférenciés. Toutes portes ouvertes. On a toujours connu les portes ouvertes. Des habitants qui se laissent regarder, semblent nous attendre, se réjouir de nous voir. Inconnus familiers. Nous accueillent aussitôt, nous invitent à partager un café. Ou un verre d’eau. Tant de sourires que les murs arborent maintenant bouches et lèvres. On entendrait des conversations, des rires. On a l’habitude, ici les paliers existent pour être franchis, habités. Le partage, d’instinct. Chaises, tables et tasses sur les trottoirs comme bras étendus des maisons. On sait déborder simplement, comme arbres et fruits dans les airs. Naturellement presque. Toutes portes ouvertes autrement aujourd’hui; éventrées. Au point de ne plus les distinguer des balcons, des fenêtres ou des cages d’escalier; tous devenus béances sur béton.

    Passer devant des portes sans porte, sans serrure, sans le sourire des femmes, sans bois, sans les cris des enfants, sans couleur, sans clé, sans café fumant, sans palier. D’autres fumées persistent par endroits. Des portes sorties de leurs gonds, exposées à la démence humaine. Le vide n’est pas silence. Quelques battants de hasard sonnent d’absurdes glas. D’ici les corps ont disparu: perdus, ensevelis, devenus éclats de pierre, poudre de sable. Bouts de membres parfois. Ou emportés par quelque survivant aimant. Des bruits parfois, mouvements entre matières et vent; leurs jeux aléatoires. Traverser les rues entre des lignées d’immeubles aux structures contorsionnées. Regarder les façades régurgiter les constructions et les habitants décimés. Et nous qui pensons passer. Regarder les portes déposer au soleil des cratères de vomis.

    Traverser ces rues aujourd’hui comme l’on se pince pour croire aux rêves. Vérifier, écouter… avoir besoin de preuves. Portes, battants, fenêtres, poignées, vêtements, poupées, casseroles, murs, rideaux, tables, pierre, pierre, béton, terre partout, pierre et ferrailles. Des choses pour retrouver le tangible. Quitter l’impensable. Preuves. Voir entendre sentir. Toucher si l’on peut sans que la peau s’accroche. Traverser comme initiation au pire, sa surenchère. Il y a pire, on connaîtra toujours pire. Regarder par terre, se raccrocher au bout de nos souliers. Éviter ce que l’on scrutait volontiers du vivant des habitants: leurs vies ordinaires, la variété de leur linge pendu. Les meubles visibles de loin, la forme des chaises. Les silhouettes. On n’ose pas aujourd’hui et ce n’est pas pudeur. On traverse, par leurs visages fixés. Invités à d’autres visions: immeubles devenus portes béantes, portes forcées sur des demeures de béton. Les amas se ressemblent, partagent de mêmes ténèbres.

    Eux sourient et débattent.

    également paru dans ici Beyrouth :

  • et à nouveau cette absence.

    que pensez-vous
    il demande si doucement
    sans besoin de compléter
    l’évidence
    quoi d’autre aujourd’hui
    guerre
    à nouveau — toujours
    et devoir penser
    commenter comme journaliste
    analyse d’experte
    que pensez-vous
    quand seule l’enfant prend place
    plantée sans terre sous pieds
    fardée de sourires (extrait)

    #LittéraTube​​ #VidéoEcriture​​ #poésie​​ #Liban

    micro journal 407-2024.09.25

  • je m’éloigne de tes yeux.

    je mange tes doigts quand je mange sans fin
    je mange le feu, le sable
    au sol — l’abandon
    ni garantie ni vertige, je manque
    ton rire tombé, je mange ta voix
    te prononce te signe te veille (extrait)

    #LittéraTube​​ #VidéoEcriture​​ #poésie​​

    micro journal 406-2024.09.22

  • ce n’est pas une fiction.

    quelles mains cachent leurs lèvres, étranglent
    quels doigts sur leurs bouches lapidées
    elles perdent le droit de parler en public
    ne parleront qu’au mari, au frère, à l’enfant
    entre elles mais derrière les murs
    basses voix comme faute déjà — mortuaire (extrait)

    musique : Bruno Letort
    « Requiem pour Tchernobyl » (extrait)
    Orchestre de Minsk|Choeurs de Minsk|Andreï Galanov

    texte et vidéo : gracia bejjani

    #LittéraTube​​ #VidéoEcriture​​ #poésie​​

    micro journal 405-2024.09.15

  • n’imaginais pas, envahie d’images.

    j’appelais rarement,
    ne pleurais pas l’absence,
    ne regardais pas de photos,
    ne relisais pas de lettres, ne voulais pas,
    ne prenais pas de nouvelles,
    n’en donnais pas vraiment (extrait)

    #LittéraTube​​ #VidéoEcriture​​ #poésie​​

    micro journal 404-2024.09.09

  • comme lucioles au corps lumineux.

    pays de noir hanté, mais leurs nuits sont blanches
    blanches comme l’attente, ses instants précipités
    le mur du son, franchi
    le bruit est sec, l’explosion comme suspendue
    assourdissante après l’étrange silence tombé de nulle part
    nous connaissons l’explosion des armes
    l’explosion des bombes
    nous avons été pulvérisés par l’explosion du port
    aujourd’hui, d’autres fracas, le coup de poing sidéral {extrait}

    #LittéraTube​​ #VidéoEcriture​​ #poésie​​

    micro journal 403-2024.08.31

  • nous ne sommes pas dans les rues.

    texture de l’asphalte chaud sous la semelle
    (parfois très collante)
    le soleil sur les miroirs (et les yeux impossibles)
    le vent aux fenêtres, petite trêve
    le chatouillement de la poussière
    la peau qui sue
    l’arrogance des camions (se sentir petit à côté, vulnérable)
    le désordre des épiceries {extrait}

    #LittéraTube​​ #VidéoEcriture​​ #poésie​​

    micro journal 402-2024.08.18

  • simple comme ça.

    Beyrouth l’été. Je suis l’enfant et tu transpires quand tu me portes. La vie sent doux. Je me sens sucrée.
    —–
    Tu me serres contre toi après la douche. Me sécher, corps enveloppant. Et je te renifle sans bruit. Le cou surtout et la poitrine. Ton odeur, accentuée par l’effort. Ton odeur de bébé (extrait). (extrait)

    #LittéraTube​​ #VidéoEcriture​​ #poésie​​

    micro journal 401-2024.08.11

  • 𝐫𝐞𝐜𝐡𝐞𝐫𝐜𝐡𝐞 𝐋𝐢𝐛𝐚𝐧, 𝐚𝐜𝐭𝐮𝐚𝐥𝐢𝐭𝐞́. 𝐁𝐞𝐲𝐫𝐨𝐮𝐭𝐡

    Le port de Beyrouth explose à 18 h 07 (17 h 07 à Paris). Mardi 4 août 2020. On a toujours connu les explosions. Euphémisme en ce mardi 4 août. Je me vis, boulevard Sébastopol. Ses rues lisses d’un mois d’août à Paris, l’asphalte audible sous le frottement des roues. Les néons des pharmacies, clignotement d’inutiles alertes. Je vis conducteurs et piétons aux règles partagées (extrait)

    #LittéraTube​​ #VidéoEcriture​​ #poésie​​

    micro journal 400-2024.08.04

  • l’ambiguïté de l’oubli.

    il demande des souvenirs comme on sollicite un avis
    qu’avez-vous connu vécu pendant la guerre ?
    aujourd’hui, l’ambiguïté de l’oubli
    et le sursaut, je ne sais rien
    j’écris par absence de mots (extrait)

    #LittéraTube​​ #VidéoEcriture​​ #poésie​​

    micro journal 399-2024.07.30

  • je n’écris pas, je vois avec les oreilles.

    je n’écris pas, je vois avec les oreilles
    fragments de métro parisien
    entendus, retenus
    assemblés
    lus en arabe libanais
    (traduction improvisée en direct)

    #LittéraTube​​ #VidéoEcriture​​ #poésie​​

    micro journal 398-2024.07.21

  • Qu’est-ce que le monovlogue ? (Gilles Bonnet)

    𝐌𝐞𝐫𝐜𝐢 𝐢𝐦𝐦𝐞𝐧𝐬𝐞 𝐚̀ 𝐆𝐢𝐥𝐥𝐞𝐬 𝐁𝐨𝐧𝐧𝐞𝐭 𝐩𝐨𝐮𝐫 𝐬𝐞𝐬 𝐚𝐧𝐚𝐥𝐲𝐬𝐞𝐬 𝐬𝐢 𝐩𝐨𝐢𝐧𝐭𝐮𝐞𝐬 𝐝𝐞 𝐧𝐨𝐬 𝐩𝐫𝐚𝐭𝐢𝐪𝐮𝐞𝐬 « 𝐥𝐢𝐭𝐭𝐞́𝐫𝐚𝐓𝐮𝐛𝐞 », 𝐢𝐜𝐢 𝐥𝐞 𝐦𝐨𝐧𝐨𝐯𝐥𝐨𝐠𝐮𝐞

    à la suite du colloque « La littérature française à l’épreuve du XXIe siècle : romans, récits et narrations numériques (2011-2020) » à la Sorbonne Nouvelle, l’article de Gilles Bonnet est publié dans les Actes hébergés par Fabula.

    https://www.fabula.org/colloques/document12001.php

  • l’étymologie, l’inconscient des débuts.

    d’où venez-vous, on me demande
    ma certitude, venir des langues
    récits à rebours de paroles mangées
    corps contaminé de langue maternelle
    d’où venez-vous (la question m’étourdit)
    je porte d’autres mouvements,
    depuis que bouge dans une autre langue
    lisant écrivant en français (extrait)

    #LittéraTube​​ #VidéoEcriture​​ #poésie​​

    micro journal 397-2024.07.15

  • me suis brûlée pour croire au feu.

    j’ai craché le goût de l’ail
    sursauté au citron des premières fois
    j’ai claqué de la langue, apprendre le goût
    apprendre le citron ; devenir citron
    j’ai pleuré cheveux accrochés au peigne
    me suis brûlée pour croire au feu
    j’ai battu des mains sans chercher à dire (extrait)

    #LittéraTube​​ #VidéoEcriture​​ #poésie​​

    micro journal 396-2024.07.07

  • je tapais des pieds déjà.

    j’étais couverte de chair, réchauffée
    entortillée déroutée, ivre d’eau déjà
    joie sans raison, noyée de mère
    j’ai été remuée
    éprise de confusion ; têtue
    pas encore née, qu’agitée déjà
    bousculée de bruits, d’humeurs (extrait)

    #LittéraTube​​ #VidéoEcriture​​ #poésie​​

    micro journal 395-2024.06.29

  • plafonds sans réponses aux prières des lits.

    dans d’autres pays comme séjours en clinique
    nous habitons
    soignés protégés — séparés
    nous vivons
    détachés
    gestes de papier
    aux griffes d’autres alphabets (extrait)

    #LittéraTube​​ #VidéoEcriture​​ #poésie​​

    micro journal 394-2024.06.16

  • J’ai appris à parler sur tes lèvres.

    Joie (grande) de vous dire la parution de mon recueil de poésie, « j’ai appris à parler sur tes lèvres », chez La Kainfristanaise.
    Lancement au Marché de la Poésie 2024.
    Parution le 19 juin 2024, commande ici, merci!

    Immense merci pour ces mots qui portent, pour la confiance de toujours (présentation par mon éditeur) :

    “Oui, j’écris et vous demande pardon de rester l’enfant d’une guerre. Me taire et l’écrire. Lui tourner autour, comme enfant et mère. “
    Ces mots, chèr.e.s ami.e.s kainfristanais.es sont ceux d’une poétesse que nous avons le bonheur de vous présenter. Elle se nomme Gracia.
    Gracia Bejjani. Elle a l’écriture chevillée au corps. Son geste tient du verrier. Habile, patiente, elle travaille et remet au métier l’ouvrage, affine le vers jusqu’à l’éclat dépouillé. Comme un désir éprouvé de polir le mot ou d’approcher sa réalité intérieure et nous la restituer.
    Avec Gracia, la poésie est un hymne à la vie, à ces liens qui demeurent, même au cœur du chaos. À ces liens dont on s’aperçoit, longtemps après, qu’ils furent noués dès le commencement, dans les premiers éclats de l’enfance. En ce temps où les bras et le visage d’une mère sont le monde. Quand la voix berceuse dessine l’univers infini. La mère revient, ne cesse de traverser le poème. La poète dit à voix basse à sa mère:
    “J’ai appris à parler sur tes lèvres, à chercher le sens. À nuancer, à chanter faux aussi, mais juste cœur et plein corps de cette joie que je trouvais dans ton rire. Ton courage, fort et doux. Écrire est devenu mon geste, je te le dois. Je n’ai pas cessé de t’écrire. T’écrire encore aujourd’hui pour tenir ta main, te bercer de voix dans les nuits que je ne connais pas. “
    Ce recueil, incessant ressac de souvenirs. Les jours passés viennent s’échouer sur la grève du présent, le bousculent, le hantent parce que le fil n’a jamais été rompu. Gracia Bejjani parle à chacun de vous de ces pays que l’on quitte, mais qui vous suivent parce qu’ils font à jamais partie de vous, de vos paysages intérieurs. De ces blessures qu’on voudrait laisser, mais dont l’écho réplique. Comme s’ils avaient besoin d’être portés à la parole. La guerre, encore elle, la guerre ne cesse jamais car on la retrouve partout où l’on voudrait l’oublier. Dans l’écriture même, elle s’invite. Comme s’il fallait des mots pour donner un nom au chaos. La poésie devient alors la petite lumière qui raconte et éclaire le destin d’une porteuse de frontière. »N’es-tu pas lasse. Il est temps de tourner la page. Comment tourner des pages sans livre ? Sinon l’écrire, m’en acquitter, écrire ce dont on ne parle pas. Je n’attrape que par bribes ces années usées d’oubli. Je m’arrête, retiens mes mots comme corps perdus dans les décombres des villes. On a tous des images de Beyrouth explosé, de Bagdad ou Damas bombardé. Ma vieille guerre n’a d’autre visage que nos têtes tacitement obsédées, que nos mémoires.’
    Lisez Gracia, répondez à son invitation dans cet univers où elle nous mène. Peut-être que par ces temps convulsifs nous nous apercevons que “je” n’est pas seulement un “autre”.

  • se tromper de mer.

  • j’écoute leurs mains.

    j’écoute leurs mains
    leur révolte docile
    les mots précèdent leurs gestes
    postures comme rituels sans chant
    j’écoute
    leur gentillesse convenue
    par le cri ils exigent (extrait)

    #LittéraTube​​ #VidéoEcriture​​ #poésie​​

    micro journal 393-2024.06.06

  • 𝐫𝐞𝐯𝐞𝐧𝐢𝐫 𝐚𝐮 𝐦𝐢𝐧𝐮𝐬𝐜𝐮𝐥𝐞.

    ce sera — terre molle légère
    leurs os comme rochers éboulent
    les pieds, nuées d’allégresse
    transpirent de nouvelles vies (extrait)

    #LittéraTube​​ #VidéoEcriture​​ #poésie​​

    micro journal 392-2024.05.31

  • intime anonyme.

    tu n’es pas morte
    intime anonyme
    tu es ma hantise
    ma turbulence
    tant que j’écris, j’enfreins
    fi de l’ordre vivre mourir
    tu es ma familière ma proche (extrait)

    #LittéraTube​​ #VidéoEcriture​​ #poésie​​

    micro journal 391-2024.05.26

  • 𝐨𝐧 𝐬𝐚𝐢𝐭 𝐥𝐞 𝐭𝐞𝐦𝐩𝐬 𝐢𝐧𝐜𝐨𝐦𝐩𝐥𝐞𝐭.

    on revoit nos abris de murs friables
    notre guerre inouïe monotone
    elle contient nos gestes de peu
    l’espoir — panache de nos mains
    résistance des vies éprouvées
    grandir brusques parmi les obstacles
    on franchit les jours comme objets dissociés
    la guerre interrompt aussi l’espace (extrait)

    #LittéraTube​​ #VidéoEcriture​​ #poésie​​

    micro journal 390-2024.05.20