l’enfant que je n’ai pas eue

De ses mains impuissantes à exorciser le mal, elle me désigne le lieu du dos, ici, c’est ici. Douleur de ce qui se casse, l’emprise des maladies sans contagion mais je souffre de seulement la toucher comme par contamination électrique. Bruissement de mon amour, petite éternité.

Ce n’est pas de ma faute si j’ai mal. Ma mère, comme l’enfant que je n’ai pas eue. M’implore de ses yeux sans demande, regard étiré d’inquiétude, si grande que vague. Pardon de souffrir … Ma mère s’excuse de souffrir comme l’on porte nos vies, coupables imaginaires. Avec son corps, ce vivant friable, comme proie à ses côtés. Je hais me plaindre, j’ai mal. La douleur est attente, pulsions de nerfs. Spontanée sans naturel, la sensation mordante revient, réglée, fidèle. On voudrait perdre, se tromper. Son retour comme cycle, triste diapason au rythme serré du sang. On la guette, on la verrait, l’immatérielle, tranchante comme signes sans adresse.

Corps serré dans le visage aux joues prunes, yeux qui fixent comme pour contrôler le diable, la douleur est obsession simple, fatigue de matière rigide. Ce n’est pas de ma faute, je ne fais pas exprès. Ma mère comme l’enfant que je n’aurai pas. Sa douleur focalise ma peau, sursauts d’étincelles noires. Je suis incapable d’aide, présence essoufflée de tendresse vaine. Apprendre le désarroi, rêche sans l’ombre des mots. Le corps par morceaux, n’a de repos que somnolence sans détente. Ma mère se raccroche, majestueuse de solitude, de fragilité.

Ici, c’est ici et elle prend ma main pour la guider, comme si de palper les os à leurs endroits précis me permettrait de comprendre sa souffrance, comme de caresser un chat pour créer le lien.

La douleur est rage involontaire, elle plie la parole comme saison oubliée. Tranche le réel, montage factice d’humanité absurde. De terre futile. Le récit se crispe dans les bras, opaque de bouche close. Je ne dirai plus, me plains pas.

Maman balbutie sa douleur chaude, ma présence à ses côtés, paupières de paralysie grise. Lien catapulté, comme voix de mélancolie. Il suffit de regarder ses yeux pour voir immobilisés les pleurs d’autres drames. Le dos, les os, la jambe… le mal tournoie, fuit le cœur dans des recoins épuisés.