blanches parallèles.

Les grilles sont blanches, immaculées. Tissage de ferraille qui filtre vent, lumière. Qui filtre le bleu, pas très bleu, du ciel ; l’agglomérat de nuages. Qui filtre l’air libre : dans cette cour extérieure, le dehors, le vrai, respire de l’autre côté.
Le vrai dehors, derrière ces tiges de fer qui enclavent la cour ; extérieure la cour, mais intérieure, prisonnière de l’espace délimité par les pans de grillages partout autour.
Et de l’autre côté, morcelé par ces parallèles de lignes de fer blanc, l’extérieur se devine à travers les fentes. Comme derrière la maille resserrée d’un tricot immense et rectangulaire tissé avec régularité. Un oiseau passe, vole bas. Battements d’ailes, à peine. Pigeon à la traversée disgracieuse, lourde.
Au-dessus des grilles, barbelés. Trois lignes séparées par un large espace, en contraste avec la partie basse très dense des murets de fer. Mais barbelés ; leurs pointes acérées désavouent la liberté qui se dégage de la vue du ciel dilaté entre des parallèles d’acier.

Changement de plan. Devant une baie vitrée séparant la cour, d’un bâtiment aux façades ocre, trois personnes assises de part et d’autre d’une table blanche aux bordures arrondies. Ses pieds, deux colonnes grises. Plateau est vide. Un jeune homme d’un côté ; sur le banc arrière, une petite fille se tient près d’une adolescente. La gamine n’a pas froid, vêtue d’un simple survêtement rose. Les deux autres sont en doudoune noire fermée jusqu’au col.
Ensemble autour de la même table, ils semblent seuls. Il suffit d’observer leur regard pour se demander s’ils savent présents les deux autres tout près. Ils regardent dans la même direction, yeux rivés sur l’espace aussi vide que la table. Ou sur le grillage en face.
Le jeune homme tourne le dos aux filles ; à la main, il tient une feuille (une lettre ?) qu’il ne regarde pas. Il regarde devant, puis sans bouger la tête, par le seul mouvement des yeux, se met à fixer la caméra.
Derrière eux, des tremblements lumineux, à peine perceptibles finissent par signaler la télévision haut perchée contre un mur, dans la salle commune du bâtiment aux murs ocre. Aucune image n’est visible, seuls les changements de l’écran, les couleurs, ses soubresauts. Incessants. Dans ce même coin gauche, mais côté cour, une table de ping-pong repliée n’attend pas de joueurs.

Changement de plan. Un homme, bonnet noir, tennis rouges. Il marche dans une petite allée aussi grillagée. Enchevêtrements de ferraille, d’une architecture analogue à la précédente séquence : même lieu, autre aile.
Posées au sol, des chaises noires et blanches. Nombreuses et vides. Partout, nombreuses, vides. Vides, partout. Des chaises. Le noir et blanc d’une réception sans invités. Lignes bien rangées de sièges côte à côte. D’autres en désordre. Par endroits, isolés ; se regardent. Isolées, inutiles en cet instant. Beaucoup de chaises dans cet espace étroit, sans corps pour les occuper. À l’avant, à gauche un cendrier sur pieds arbore son sourire illuminé : l’illustration d’une cigarette qui le désigne.
L’homme en bonnet avance, mains dans les poches. Il est maigre, son épaule gauche remonte, déséquilibrant le corps. Son gilet noir en laine semble ainsi plus long du côté opposé. Le coin de sa bouche redressée vers le haut aussi, du même côté que le bras qui remonte ; moue qui creuse sa joue, sculpte le visage au gré de ses rides longues. Il avance d’un pas régulier et déterminé comme porté par un dessein de lui seul connu. Et quand il approche, semblant sortir du champ, il fait demi-tour, trace une ligne perpendiculaire à son arrivée, puis repart dans l’autre sens, poursuit sans interruption sa marche en direction inverse, vers la grille de fond. De ce même pas résolu, malgré l’impasse du panneau de fer au bout. Demi-tour à nouveau. Puis revient vers la caméra. 1, 2, 3, 4, 5, 6,… pas. Dix pas à chaque trajet. Demi-tour à nouveau. Trois pas à chaque volte-face. Par moment, le regard de l’homme, comme celui du jeune homme de l’autre plan, croise la caméra, à peine perceptible. Impossible d’affirmer qu’il sourit.